Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/398

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
394
REVUE DES DEUX MONDES.

ple qui formait la basse naturelle d’un récitatif continu. Dans tous les cas, c’était un moyen de soutenir la voix du chanteur, lequel l’empêchait de détonner plutôt qu’il ne servait réellement à la mélodie. Plus tard, les rhapsodes abandonnèrent la lyre ; ils prirent à sa place une branche de laurier. Le temps approchait où le chant lui-même allait disparaître devant l’écriture.

On admet que ces poèmes aient été retenus par les rhapsodes ; mais, dit-on, où trouver un auditoire capable de les entendre jusqu’au bout ? De la même manière que ces épopées n’ont pas été produites dans un même moment de la vie du poète, elles n’ont pas été non plus chantées en un seul jour. Pour les anciens, la poésie était une condition nécessaire de la vie ; tout était une occasion pour elle : le matin, le soir, le repas, la fête, les travaux, les noces, l’arrivée, le départ. Dans une vie ainsi faite, l’attention en quelque sorte ne s’épuisait pas plus que le poème. Les mêmes contrées offrent encore quelques restes de cette passion du chant. En Morée, on m’a montré, aux environs de Mistra, un Klephte qui récita pendant tout le printemps, à la même place, les chants populaires des Grecs modernes, et son auditoire ne lui manqua jamais. À Naples, j’ai vu les improvisateurs du Môle continuer leur profession pendant l’année entière. La même histoire n’était jamais terminée le même jour, ni souvent dans la même semaine. C’était au contraire un de leurs artifices, que de remettre chaque soir la conclusion au lendemain. La foule revenait, bien avant l’heure, à sa place accoutumée, et je n’ai jamais remarqué que ni le vent, ni le soleil l’ait dissipée. Ces improvisations, que le peuple paie, durent chaque jour trois ou quatre heures. Maintenant, que l’on suppose au peuple grec d’Athènes, de Syracuse, de Chio, des Cyclades, le même degré de curiosité poétique qui se retrouve encore chez les peuples du midi, et sous les haillons des lazzaronni, le même chanteur pourra réciter facilement mille vers en un jour, et les poèmes d’Homère suffiront à peine pour un mois au même rhapsode.

iii.

Il est difficile au reste d’admettre que l’Iliade et l’Odyssée ne soient rien autre chose que des chants populaires. Ces poèmes sont nationaux ; mais ils dépassent évidemment les forces de l’instinct