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soin de sa vie, et qui s’abandonnait au plaisir de décharger sa conscience si long-temps comprimée. Tout était consommé. Ce dernier espoir de salut, ce dernier attachement de l’homme à la vie, qu’on eût trouvé peut-être au fond du cœur des plus héroïques martyrs, ne retenaient plus sa langue, et ne mêlaient plus les précautions et les subtilités de la défense aux libres accens du chrétien rendant témoignage.

Le lord chancelier, soit qu’il ne sût que répondre, soit pour diminuer sa part dans la responsabilité de l’arrêt, demanda hautement au lord chef de justice, sir John Fitz-James, si l’accusation était fondée ou non. « Milords, dit celui-ci, par saint Gillian, je dois déclarer que si l’acte du parlement n’est pas illégal, dans ma conscience, l’accusation est suffisamment fondée.. » Paroles à double sens, comme toutes celles des hommes publics dans les temps de tyrannie, quand il arrive que chaque homme, interpellé de dire son avis, se replie sur celui des autres, dérobe sa lâcheté derrière la lâcheté générale, et se lave les mains, comme Pilate, dans une eau que tout le monde a salie.

Le chancelier lut la sentence. Elle portait que le criminel serait ramené à la Tour de Londres, par les soins de William Bingston, shériff, et de là traîné sur une claie à travers la Cité de Londres, jusqu’à Tyburn, pour y être pendu jusqu’à ce qu’il fût à demi mort ; qu’en cet état il serait déchiré vif, ses parties nobles arrachées, son ventre ouvert, ses entrailles brûlées ; que les quatre quartiers seraient exposés sur les quatre portes de la Cité, et la tête sur le pont de Londres. Henry commua la peine en celle d’avoir la tête tranchée. « Dieu préserve mes amis, dit Morus, de la compassion du roi, et toute ma postérité de ses pardons ! » Ce fut le seul mot dur qu’il laissa échapper sur le roi ; encore était-ce dit avec un ton de gaieté qui en cachait l’amertume.

Quand Morus eut entendu sa sentence : « Maintenant, dit-il, que je suis condamné, Dieu sait de quel droit je dirai librement ce que je pense de votre loi. Voilà sept années que j’applique mon esprit et que je tourne toutes mes études à cette matière, et je déclare que je n’ai lu dans aucun des docteurs avoués par l’église, qu’un laïque, ou, comme ils disent, un personnage séculier, ait été ou pu être chef d’une église.

— Vous prétendez donc, maître Morus, dit le chancelier, être