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min, entre toutes les nations. Son breuvage lui a été présenté soir et matin, dans la double coupe emmiellée de l’Iliade et de l’Odyssée. Ô l’étrange idée de Platon, de vouloir faire d’Homère un triste philosophe. Qui jamais le fut moins que lui ? La sérénité était sa plus grande science. Considérez seulement la simplicité de son mécanisme. Son hexamètre, formé presque tout entier de dactyles, s’avance, comme Achille aux pieds légers, puis se repose un moment, à la fin de sa course, sur son lent spondée ; puis comme un voyageur qui a repris haleine, ou comme un laboureur qui s’est assis au bout de son sillon, le vers se relève et part plus agile pour sa nouvelle carrière. À cette simplicité des moyens répond la simplicité du but. Si c’est Homère qui a changé la figure des dieux, assurément il l’a fait sans se mêler de doctrine. Que l’on étende, autant que l’on voudra, la science des symboles, pour lui, il s’en est peu soucié. Ô l’heureux poète qui n’avait besoin que de rechercher dans son œuvre la beauté la plus pure, pour être en même temps le plus savant, le plus politique, le plus religieux de tout son peuple ! Il ne manquera pas, après lui, de poètes qui imiteront cette sérénité divine, son principal caractère. Mais toujours quelque malaise du monde les démentira. Virgile, Tasse, Camoens, ont caché maintes blessures sous leur pourpre tyrienne. Dante, Shakspeare, sont venus à leur tour. D’autres siècles ont amené d’autres vers. Le temps des rires a passé comme celui des larmes. Le moyen-âge, contristé, a fini comme la Grèce imprévoyante. La douleur s’est effacée comme la joie. Tout a été essayé ; tout a changé ; tout a reparu. Mais rien n’a plus souri sur terre du sourire de la poésie d’Homère, ni la fleur, ni la vierge, ni le vieillard, ni le poète.

Souvent j’ai vu, en Grèce, au lever du soleil, la terre épanouie, à la brise de mer comme à une espérance nouvelle. Les bois, les vallées l’embaumaient d’une odeur particulière à ce pays. Peu à peu, les montagnes, les golfes sortaient des ténèbres. Ou l’on passait sous des bosquets humides d’agnus castus et d’ébéniers sauvages, ou l’on arrivait près d’une baie dont les bords fumaient, au matin, comme une braise ardente, ou l’on voyait de loin de blondes colonnes suspendues, comme un rayon de miel, aux flancs murés de la montagne, et tout faisait silence, et restait dans l’attente. On eût dit que cette terre, renouvelée en une nuit, avait retrouvé, dans le repos, comme un athlète, ses forces consumées. Malgré soi,