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le moyen-âge qui s’en va. La noblesse belge a donc grandement payé sa dette à l’histoire avec Godefroy de Jérusalem, et à la légende avec les quatre fils Aymon.

La bourgeoisie flamande et brabançonne croissait en même temps en richesses, en franchises et en libertés ; ses ateliers alimentaient le commerce du monde ; les villes belges levaient des armées plus nombreuses et mieux pourvues que celles d’aucun roi de la chrétienté, leurs citoyens traitaient de pair avec les princes, et la puissance des Artevelde, si comiquement transformés en sans-culottes, précéda de plus d’un siècle celle des Médicis.

Mais c’est en vain que ce noble courage se déploie au soleil d’Orient, que cette activité se développe dans les comptoirs de Gand et de Bruges ; en vain les seigneurs sont-ils maintefois vaincus par ces cardeurs de laine qui succombent à leur tour aux champs de Rosebecque et d’Othée ; il manque un élément pour féconder tout cela : la Belgique n’a pas de dynastie souveraine qui puisse servir de pivot à l’unité nationale et grandir à l’ombre de ces déchiremens.

Au commencement du xve siècle, ce pays parut avoir trouvé cet élément constitutif et entrer enfin en possession de ses grandes et libres destinées. Peu après la bataille de Rosebecque qui avait abaissé pour long-temps la fierté des gens de Gand, le comte de Flandre, Louis de Marie, laissa en mourant ses possessions au duc de Bourgogne, Philippe-le-Hardi, son gendre. Philippe-le-Bon, petit-fils de ce prince, réunit à ses vastes états, soit à titre héréditaire, soit par transaction avec les possesseurs ou avec l’empire dont la plupart de ces fiefs relevaient, le Brabant, le Limbourg, le comté de Namur, le marquisat d’Anvers ; il imposa à Jacqueline de Bavière la cession des comtés de Hainaut, de Hollande et de Zélande ; et la réunion de presque toutes ces provinces sur une seule tête se trouva dès-lors à peu près opérée.

La maison de Bourgogne reçut la plus belle et la plus sociale mission qui peut-être ait jamais été donnée à une dynastie, mission de paix et d’équilibre européen qu’elle parut rarement comprendre, et dont elle fut détournée par ses intérêts de famille en France, durant les règnes agités de Charles VI et de Charles VII. La Belgique n’était pas seule intéressée à ce que ces puissans princes, réglant le cours de leur ambition, fissent de ce pays le centre d’une domination indépendante et durable, qui se fût étendue de la Manche et de la mer du Nord aux bords du Rhin et de la Moselle ; cette cause était celle de l’Europe, celle de la civilisation tout entière.

En méditant sur les changemens qu’aurait entraînés dans la constitution de l’Occident l’établissement d’un royaume de Bourgogne au xve siècle, on est conduit à regretter amèrement qu’une telle œuvre n’ait pas été