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et lui dit que, quoiqu’il dût mourir pour un crime qu’il n’avait pas commis, cela n’arrivait pas sans l’expresse volonté de Dieu, et qu’il fallait s’y soumettre. Après ces mots, Marguerite se retira ; mais à peine eut-elle fait quelques pas, que, se retournant tout à coup, et rompant la foule qui s’était refermée derrière elle, elle se jeta de nouveau au cou de son père, et couvrit son visage de baisers pleins de larmes. Le sang-froid du prisonnier ne tint pas à cette seconde épreuve. Il ne dit rien à sa fille ; il pleura. Ce fut le moment, dans toute la foule, d’une émotion déchirante, qui gagna jusqu’aux soldats de l’escorte. Tout autour de Morus on n’entendit qu’un long sanglot. Les soldats arrachèrent enfin Marguerite des bras de son père. Alors ses autres enfans et petits-enfans vinrent recevoir sa dernière bénédiction. Quant à ceux des siens qui étaient demeurés à la maison, « ils trouvèrent, dit son pieux petit-fils, que ceux qui l’avaient touché à ce moment suprême, en avaient rapporté une bonne odeur[1].

Morus resta sept jours et sept nuits dans la Tour, après son jugement, s’armant par la prière, la méditation, l’enthousiasme religieux, pour le jour du martyre ; se promenant dans sa chambre en chemise, comme un homme prêt à être enseveli, et se flagellant lui-même, pour faire taire cette chair délicate qui aurait eu peur d’une chiquenaude.

Les deux dernières lettres qu’il écrivit étaient adressées, l’une à Antonio Bonviso, marchand italien, son intime ami, qu’il remercie de ses services, et qu’il espère revoir « là où il n’y aura plus besoin de lettres, où une muraille ne séparera point les amis, où un gardien ne viendra pas interrompre leurs entretiens[2] ; » l’autre, écrite en anglais et au charbon, à sa fille Marguerite qu’il charge de ses dernières recommandations et adieux à tous ses enfans, petits-enfans, gendres, brus, et aux amis de sa famille[3]. Elle est datée du 5 juillet 1535 ; Morus devait être décapité le lendemain. Il rappelle à sa fille leurs derniers adieux. « Je n’ai jamais mieux aimé votre manière envers moi, que lorsque vous m’avez embrassé la dernière fois ; car j’approuve cette piété filiale et cette tendresse

  1. The life of Thomas Morus, by his grandson, ch. xi.
  2. Elle est écrite en latin. English Works, 1455.
  3. English Works, 1457.