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mença donc qu’en 1815, à la mort du maréchal Ney. Dans cette mémorable nuit du 5 décembre, où le malheureux Ney fut condamné, M. de Broglie prit plusieurs fois la parole en sa faveur, et revendiqua le droit de voter, qu’on lui contestait. Seize pairs votèrent pour la déportation, ce furent les comtes de Lally-Tollendal, Curial, de Richebourg, de Malleville, Delaroche, Lanjuinais, Klein, Hervin, de Gouvion, Colaud, Chollet, Chasseloup, Berthollet, le duc de Montmorency et le duc de Broglie.

Dès-lors la place de M. duc de Broglie fut distinctement marquée dans la chambre des pairs ; et cette place, il ne la quitta pas durant toute la restauration. L’homme d’état qui avait voté contre la peine de mort en matière politique, vota contre l’ordonnance du 24 juillet, en demandant une amnistie plus complète, avec cette fine causticité qui a fait la fortune politique de M. de Broglie dans l’opposition, et qui a causé sa ruine chaque fois qu’il s’est trouvé au pouvoir. Puis, il parla tour à tour, et d’année en année, en faveur de la liberté individuelle, contre la saisie préalable des écrits, contre la violation du secret des lettres, contre les lois de censure, contre la détention préventive, contre tout ce que la restauration se crut obligée de faire pour résister à une menaçante opposition, toutes choses qui se firent depuis, parce que la même nécessité amena les mêmes moyens de défense, toutes choses que M. de Broglie fut obligé d’approuver de son silence et souvent de sa signature, quand il se trouva dans le conseil.

Maintes fois, dans ces lettres que je vous écris de loin en loin, monsieur, les hommes se sont présentés sous deux faces, et sous deux faces toujours bien opposées. C’est l’histoire banale d’un grand nombre d’hommes d’état. La jeunesse d’abord, et tous les rêves qui l’accompagnent, de nobles et généreux projets, une indignation pleine de verve, qui soutient et anime le talent, l’amour effréné et pur de la liberté et de toutes les libertés, la haine des abus, une chose publique livrée à l’examen de tous, sans tache, sans arbitraire, sans priviléges, un régime tel que le décrivait Platon ; puis, quand le temps est venu de se mettre à l’œuvre, quand le pouvoir tombe aux mains de ceux qui voulaient le façonner ainsi, l’âge mûr est déjà là, et avec l’âge mûr, l’expérience, la triste expérience des difficultés du gouvernement, la connaissance de la corruption des partis, tout ce qui se révèle à vous quand vous vieillissez dans