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églises. Mais, c’est chose étrange que de voir jusqu’où va ce mysticisme, comme il symbolise ses conceptions, comme il est raffiné dans ses croyances, et naïf encore dans ses raffinemens. Ainsi, jamais il n’exprime son idée comme il la sent, il lui faut une allégorie, et pour trouver cette allégorie, il descend de ses hauteurs sublimes aux réalités de la vie. Pour lui, la croix est un arbre de mai qui fleurit pour le salut du monde. Sur cet arbre vient se poser un rossignol amoureux d’une jeune fille, il soupire, gémit, languit pour elle et meurt. Le rossignol, c’est le Christ ; la jeune fille, c’est l’église chrétienne. Presque toujours le Christ est représenté comme un jeune fiancé, après lequel les ames fidèles soupirent. Parfois même le symbole va plus loin ; le Christ sort le soir et court après les ames qui sont agitées par le désir, et souffrent et se plaignent. L’une d’elles s’écrie : « Ô Marie ! prenez donc garde à votre fils, voyez comme il s’empare des jeunes filles. » Une autre lui dit : « Ô Jésus ! avec vos yeux noirs, vous m’ôtez l’usage des sens. Je veux me plaindre à Marie des tourmens que vous me faites éprouver. » À quoi Jésus répond : « Oui, plaignez-vous à ma mère, et je m’en vengerai. Je mettrai l’amour dans votre cœur, et il se brisera. »

Tous ces poètes mystiques dépeignent l’amour religieux avec les mêmes images que l’amour temporel, et le placent dans les mêmes conditions. L’ame fidèle se représente Jésus, son bien-aimé, comme un être réel ; elle est triste, elle languit. Elle aspire à lui parler, à s’approcher de lui. Elle voudrait voir éclore son sourire, rencontrer son regard, se pencher sur lui, et déposer un baiser d’amour sur son front et sur ses joues. Le monde lui est à charge. Les plaisirs de la foule la fatiguent ; elle ne rêve qu’à un seul objet, elle ne s’entretient que d’une seule pensée, et comme une religieuse mystique d’Utrecht, elle s’écrie : « L’amour va, l’amour vient, l’amour s’arrête, l’amour chante, l’amour repose dans l’amour, l’amour dort, l’amour veille, l’amour fait tout oublier. »

Le même mysticisme se retrouve dans les chants consacrés à la Vierge. Le poète emploie à la fois, pour la dépeindre, toutes les expressions les plus métaphoriques et les figures les plus communes de la vie habituelle. C’est un astre du matin, c’est un océan de bonté, c’est une ancre de salut, et puis c’est la jeune femme, c’est la mère qui allaite son enfant et l’emporte sur ses bras en Égypte, et lui cueille des dattes le long du chemin. On sait que les mystiques du moyen-âge s’étaient surtout plu à idéaliser la Vierge. Dans leur pensée, elle devient la reine du monde, la maîtresse de l’univers. Le Christ lui-même lui est subordonné, il attend ses ordres, et lui obéit comme un fils obéit à sa mère.

Il faut remarquer encore dans cette série de chants religieux ceux où la vie du Christ est représentée avec tous ses détails de vie réelle, toute cette bonne foi candide des anciens peintres. Tantôt, c’est Jésus qui s’a-