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pur, plus ou moins altéré, se trouve dans les lois. Ces lois, quelque imparfaites, quelque mal formulées qu’elles soient, sont toujours meilleures que la génération qu’elles régissent. Elles sont l’ouvrage des hommes les plus éminens en sagesse et en intelligence[1]. L’élément humain se trouve dans les abus, dans les préjugés, dans les vices de chaque génération, et depuis les temps peut-être fabuleux de cet âge d’or que le poète revendique comme la tige de sa généalogie, toute génération a subi beaucoup plus la puissance du mal que celle du bien. Les codes non écrits de la coutume ont eu plus de force que le code écrit du devoir. Les châtimens n’ont rien empêché là où la coutume s’est mise en révolte contre la loi. C’est pourquoi les sociétés cherchant sans cesse le bien dans leurs institutions, ont toujours été envahies par le mal. Le législateur enseigne et dicte la loi que l’humanité accepte et n’observe pas. Chaque homme l’invoque dans ses intérêts ; chaque homme l’oublie dans ses plaisirs.

Cet être à la fois disgracié et privilégié qu’on appelle poète, marche donc au milieu des hommes avec un profond sentiment de tristesse. Dès que ses yeux s’ouvrent à la lumière du soleil, il cherche des sujets d’admiration, il voit la nature éternellement jeune et belle, il est saisi d’extase divine et de ravissemens inconnus ; mais bientôt la création inerte ne lui suffit plus. Le vrai poète aime profondément Dieu et les œuvres de Dieu ; c’est dans lui-même, c’est dans son semblable qu’il voit rayonner plus distinctement et plus complètement la lumière éternelle. Il voudrait l’y trouver pure et adorer Dieu dans l’homme comme un feu sacré sur un autel sans tache. Son ame aspire, ses bras s’entr’ouvrent ; dans son besoin d’amour, il fendrait volontiers sa poitrine pour y faire entrer tous les objets de son immense désir, de ses chastes sympathies ; mais la laideur humaine, l’ouvrage des siècles de corruption, ne peut échapper à son œil limpide, à son regard profond. Il pénètre à travers l’enveloppe, il voit des âmes contrefaites dans des corps splendides, des cœurs d’argile dans des statues d’or et de marbre. Alors il souffre, il s’indigne, il murmure, il gourmande. Le ciel, qui lui a

  1. On peut bien penser qu’il s’agit ici des lois durables qui ont rapport à la morale publique, et non de celles qui se font et se défont tous les jours dans les chambres, à propos des petits intérêts matériels de la société.