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force propre ; et après la campagne du prince d’Orange, la France qui l’avait sauvée, stipula seule pour elle.

Reconnaissons toutefois que, dans l’abandon où l’opinion publique sembla laisser alors la cause belge, il y avait quelque injustice. Au milieu de la désorganisation des finances et de l’armée, n’ayant pour faire face à l’ennemi que des masses de gardes civiques et quelques régimens dont les cadres d’officiers avaient été remplis par tous les héros de comptoir qui quittaient l’aune pour l’épée, un pays attaqué par les armes, les intrigues et l’or de la Hollande, et dont les plus chauds alliés méditaient parfois le démembrement, ne pouvait vraiment préparer une défense sérieuse. Son gouvernement était alors dans la pire des situations : le sentiment révolutionnaire avait perdu son essor, comprimé qu’il avait été par la diplomatie, et la force régulière destinée à lui survivre n’était pas encore organisée. Sous le rapport de l’influence extérieure, la position n’était pas moins déplorable. Le parti propagandiste en Belgique unissait au danger de ses principes le ridicule de son impuissance. Le parti qui gouverne aujourd’hui, et qui, malgré tout ce qui lui manque, est le seul qui puisse faire refleurir une sorte de nationalité belge, le parti des vieilles mœurs et des croyances populaires, était alors trop ignorant des affaires, trop géométriquement dévoué à ses récentes théories libérales, pour pouvoir se présenter avec avantage devant l’Europe.

Heureusement que l’autre nuance de l’union vint fournir à la révolution belge des agens tels qu’il en faut quand on est faible et qu’on a besoin des forts ; hommes d’expérience et de ressource, plus habiles que passionnés, plus éclairés que convaincus ; sorte de gens qui ne fondent ni l’avenir des nations ni celui des dynasties, mais qui sont toujours utiles, souvent indispensables aux unes et aux autres ; ces hommes que le barreau et la rédaction des journaux politiques avaient préparés pour la tribune, étaient pour la plupart, par la modération de leur caractère et la nature de leur esprit, accessibles à toutes les idées d’ordre légal, de droit historique et conventionnel ; enfin, l’obscurité dont les évènemens les avaient fait sortir pour élever leur subite fortune les attachait par les plus forts de tous les liens à la cause pour laquelle ils s’étaient compromis autant que personne. Ils étaient à ce double titre les seuls intermédiaires entre l’Europe et la révolution, les seuls qui pussent avoir action sur l’une et sur l’autre. C’est à ces hommes que la Belgique doit son existence politique ; leur nom restera toujours inscrit aux fondemens de l’édifice. Si en Belgique comme en France le parti révolutionnaire provoqua le mouvement, il échappa vite dans les deux pays aux mains de ses premiers moteurs. Chez nous le pouvoir est passé à la bourgeoisie industrielle, en