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L’ESPAGNE EN 1835.

Quand Padilla eut écrit ces deux lettres, il se prépara à marcher au supplice. Lui et son ami don Juan Bravo, capitaine de Ségovie, furent placés sur deux mules ; un héraut les précédait en criant « Voici la justice que la régence fait exécuter au nom du roi contre les gentilshommes traîtres et rebelles. — Tu mens, s’écria Bravo bouillant de colère, ce n’est pas pour avoir été traîtres que nous périssons, c’est pour avoir défendu le bien public et la liberté de la patrie. » — L’alcalde le frappa violemment de sa baguette, et comme Bravo se mettait en défense : — « Ami, lui dit Padilla en le contenant, hier nous avons combattu comme des hommes, mourons aujourd’hui comme des chrétiens. » — Bravo demanda à être exécuté le premier pour ne pas voir la mort du meilleur chevalier des Castilles. Quand vint le tour de Padilla, il confia à un gentilhomme ami qui se trouvait là un reliquaire d’or et un chapelet. – « Remettez-les à ma femme, lui dit-il, et recommandez-lui d’avoir plus de soin de mon ame que je n’ai eu soin de mon corps. » — Ensuite il se mit à genoux et livra sa tête au bourreau en s’écriant : « Domine, non secundum peccata nostra facias nobis ! … » Ainsi périt le dernier Castillan, et le parti à jamais vaincu des communeros expira dans le sang des martyrs. Toutes les libertés espagnoles succombèrent du même coup, et un despotisme de trois siècles s’assit sur leurs ruines comme un génie de malédiction.

À quelques mois de là, une femme habillée en paysanne traversait les landes de l’Estramadoure avec un enfant dans ses bras ; elle marchait vers la frontière de Portugal ; quand elle l’eut atteinte, elle se retourna vers l’Espagne, pressa l’enfant sur son cœur et pleura. Or, cette femme était doña Maria Pacheco, la veuve de Padilla ; elle partait pour l’exil. À la nouvelle du désastre de Villalar et de la fin tragique de son époux, elle avait pris des habits de deuil, et parcourant les rues de Tolède sur une mule caparaçonnée de noir, elle avait présenté au peuple l’orphelin de Padilla en l’appelant à la vengeance et à la liberté. Elle faisait porter devant elle,

    cerca, mi fin te dara testimonio de mi desseo. Mi anima te encomiendo, como patrona de la Christiandad ; del cuerpo no digo nada, pues ya no es mio, ni puedo mas escrivir, porque al punto que esta acauo, tengo a la garganta el cuchillo, con mas passion de tu enojo, que temor de mi pena.