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BREST À DEUX ÉPOQUES

non pour être compris, mais pour ne pas l’être. Prévoyant l’ennui et la fatigue de cette laborieuse dissimulation, je m’en effrayais d’avance. Par bonheur, je n’en eus pas besoin.

L’étranger que le voiturier était allé chercher se présenta sur le marche-pied, et je me reculai pour lui faire place.

— Pardon de vous déranger, monsieur, me dit-il en saluant.

Je me sentis soulagé. La politesse de cet homme venait de me dire son opinion. En ne me tutoyant pas, il avait fait une profession de foi et un acte de courage. Je me tins moins sur mes gardes, et l’entretien s’engagea. Nous nous apprîmes bientôt réciproquement que nous avions des amis communs ; c’était déjà se connaître. La conversation devint alors facile et familière. Mon compagnon de route connaissait Brest, qu’il avait visité peu auparavant, et il m’en parla longuement.

Cependant nous avancions toujours, et le pays que nous traversions offrait un aspect de plus en plus désolé. Ces campagnes que j’avais vues autrefois si mouvantes de moissons et de feuillées, si parfumées de sarrasin fleuri, si résonnantes de mugissemens de troupeaux et de chants de pâtres, je les trouvais arides, mornes, dévastées. Les manoirs qui élevaient naguère au milieu des arbres leurs tourelles à toits pointus et leurs girouettes armoriées, dépouillés maintenant de leurs ombrages et noirs des traces de l’incendie, dressaient leurs squelettes décharnés des deux côtés du chemin. Les christs de carrefour gisaient abattus au fond des douves marécageuses, et les fontaines, souillées par les ronces et les feuilles mortes, avaient perdu leurs vierges protectrices. Parfois, quand nous traversions un hameau, une église se montrait à nous avec ses frêles sculptures, ses dentelles de granit et sa flèche aérienne ; mais à peine si quelques restes de verrières pendaient encore à ses fenêtres demi-murées : ses élégantes balustrades, ses caryatides bizarres, ses arabesques moulées dans le Kersauton, avaient été martelées ; elles parsemaient le sol de leurs débris, et, à la porte entr’ouverte, au lieu de la figure sereine d’un paysan sortant la tête nue et les mains jointes sous son large chapeau, nous voyions apparaître le bonnet de police d’un gendarme qui fumait sur le seuil du lieu sacré, transformé en écurie. En approchant de Brest, les champs devenaient encore plus incultes. On n’y apercevait ni laboureurs, ni troupeaux. Çà et là seulement quelques maigres che-