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BREST À DEUX ÉPOQUES

ses remparts, qui l’entouraient comme une ceinture de feuillage, les longues lignes du quartier de la marine que dominait la tour massive de Saint-Louis : au-delà s’étendait la rade avec ses vaisseaux à l’ancre, et, plus loin encore, tout-à-fait à l’horizon, le Menez-hom, qui semblait pendre du ciel comme une noire nuée. Cet ensemble avait quelque chose d’étrange et de triste. On eût cru voir une de ces cités de nuages qui se forment, le soir, à l’horizon, et dont un soleil couchant dessine les fantastiques contours. Une pluie froide et fine commençait à tomber. Un coup de canon fut tiré, et son retentissement courut pendant plusieurs minutes le long des dunes rocheuses qui forment la baie. Je fus saisi de je ne sais quel pressentiment poignant ; j’aurais voulu retourner sur mes pas et ne pas entrer à Brest. Je fis part à mon compagnon de cette espèce de répulsion que j’éprouvais ; il sourit tristement.

— Qui sait ? me dit-il, peut-être est-ce l’instinct de conservation donné par la nature à tous les êtres, qui vient de s’éveiller en vous. Vous avez senti l’odeur de la guillotine.

Comme il achevait de parler, nous passâmes les portes. Je fus frappé tout d’abord de la solitude des rues. On n’apercevait personne sur le seuil ni aux fenêtres des maisons : on eût dit une ville abandonnée. Cependant, en avançant davantage, nous crûmes entendre comme une lointaine et sourde rumeur ; ce bruit grossit bientôt, et ce fut un murmure lugubre, puis un mugissement entrecoupé, immense, puis enfin une clameur sauvage qui éclata tout à coup. Nous tournions alors une rue, le char-à-bancs s’arrêta ; nous nous trouvions en face d’une foule pressée qui couvrait la place. Au milieu la guillotine était debout et attendait.

Je me rejetai au fond de la voiture, en poussant un cri.

— Mon Dieu ! qui va-t-on tuer ? demandai-je pâle d’horreur.

Mon compagnon de route avait aussi tout vu ; il haussa les épaules en soupirant.

— Je ne sais qui ce peut être, me répondit-il ; avez-vous des parens ou des amis à Brest, monsieur ?

— Plusieurs.

— Alors ne regardez pas, me dit-il en fermant lui-même les yeux, comme s’il eût voulu échapper à quelque image affreuse. Il y a un mois, je suis arrivé ainsi au moment où le bourreau mon-