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sur 173,165 électeurs inscrits ; 46,832 électeurs n’ont pas donné leurs suffrages, ou 27 sur 100.

Cette différence tient d’abord à ce que, dans un certain nombre de départemens, les électeurs légitimistes s’abstiennent de voter. Quant à l’apathie du corps électoral, elle s’explique par l’homogénéité des élémens qui le composent. La nation politique doit être comme le corps humain, la réunion de plusieurs principes qui se combattent ; partout où un seul principe domine trop exclusivement, il n’y a ni énergie, ni vitalité.

Avant la révolution de juillet, la lutte se passait dans les chambres et dans le corps électoral ; là, les deux partis étaient en présence, l’avenir et le passé : l’un avec les forces du pouvoir, l’autre avec celles du pays. Depuis la charte de 1830, l’ascendant de la bourgeoisie victorieuse est tel dans les chambres et dans le corps électoral, qu’il n’y a pas même la place ni l’occasion d’un conflit ; aussi est-ce dans les rues de Paris ou dans les campagnes de l’ouest que les partis ont livré bataille au pouvoir ? La lutte a été parlementaire sous la restauration, extra-parlementaire depuis la révolution ; ainsi, ce que le gouvernement a gagné en force, le régime représentatif l’a perdu.

Le parti doctrinaire, qui a repoussé les électeurs à 200 fr. tant qu’il lui a été permis d’espérer que le pouvoir continuerait à résider dans la classe des électeurs à 100 écus, et qui, chassé de cette position, défend maintenant contre l’opposition le cens fixé par la loi de 1831, prend avantage de l’incurie politique des électeurs. Suivant lui, la législation a devancé le progrès des esprits, et la France est moins libérale que ses lois. « Quels sont, dit-il, en grande majorité, les électeurs ? De petits propriétaires, des marchands, des cultivateurs, pour qui une journée de travail est une grosse perte ; pour de telles gens, l’exercice des droits électoraux se convertit en un véritable impôt. Le gouvernement n’appartient qu’aux hommes de loisir. »

Il est très vrai que l’exercice des droits politiques, cette participation au pouvoir, impose, comme compensation, une perte de temps et d’argent à ceux qui en sont investis. Mais nous ne voyons pas qu’une telle considération ait affaibli l’ambition de les posséder. Tout le monde sait aujourd’hui qu’il n’y a point de bénéfice qui