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damnables hérétiques, qui prétendent que tout n’est pas pour le mieux en 1835.

En résumé, la théologie, maltraitée dans les séminaires, en est sortie récemment, et court aujourd’hui par le monde. Pour tromper la police des critiques, assez indévots de leur nature, elle se présente avec l’allure dégagée des sciences mondaines, parée de la phrase nuancée jusqu’à la recherche, et coupée dans le dernier goût ; et puis, elle a changé de nom. La vieille science des choses divines s’appelle aujourd’hui spiritualisme : les solutions des grands hommes législateurs du monde chrétien reparaissent sous ces titres que la mode a daigné adopter : loi humanitaire, doctrine sociale, théorie de l’avenir, vues providentielles, progrès !

Quelle sera la fortune de ces idées dans le monde actif ? Il serait téméraire de le prédire ; mais on ne saurait nier que leur influence s’est fait vivement sentir dans les sphères élevées de l’esprit, puisque les plus graves questions de la philosophie se débattent aujourd’hui sur le terrain des discussions théologiques.


ii. Philosophie générale. — Cette classe ne compte pas plus de 75 ouvrages, en y comprenant même des brochures sans valeur, qui ne doivent qu’aux prétentions de leurs titres l’honneur de côtoyer des productions sérieuses. Ils fournissent 1464 feuilles-modèles. Rarement les éditeurs acceptent les chances d’un nombreux tirage, et selon toute probabilité, la moyenne de la reproduction n’a pas dépassé 1100.

On voit, par ces chiffres, que la philosophie est une des sections les moins productives. La raison en est simple : c’est qu’elle offre rarement matière à spéculation. Celui qui fait de la pédagogie, du roman, du vaudeville, fait son état. Mais dans le groupe des écrivains philosophes, chacun est désintéressé, depuis le vrai sage qui sort de sa retraite, pour livrer généreusement les vérités utiles, conquises par la méditation et l’expérience, jusqu’à l’improvisateur de systèmes, qui donne son mot dans toutes les crises, juge toutes les découvertes, se vénère lui-même comme une seconde providence et désespère de l’humanité, parce qu’elle n’achète pas les livres qu’il a fait imprimer à ses frais. Les premiers, hommes rares et rarement appréciés, trouvent dans les trésors de leur conscience le salaire divin de tout dévouement. Les seconds, pauvres dupes de leur vanité, sont des oisifs pour l’ordinaire, importans, ennuyeux, quoique bonnes gens au fond et bien intentionnés.

En général, le public a défiance des livres sérieux : l’abstraction pour lui est un abîme qu’il évite avec une frayeur souvent comique. La clientelle des philosophes se réduit à un petit nombre d’acheteurs, mais déterminés, infatigables. Ceux qui peuvent sonder sans vertige les profondeurs de l’infini, s’y égarent avec délices : les régions immatérielles deviennent