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ÉCRIVAINS CRITIQUES ET MORALISTES FRANÇAIS.

1639, disent les uns ; en 1644, disent les autres et d’Olivet le premier, qui le fait mourir à cinquante-deux ans (1696). En adoptant cette date de 1644, La Bruyère aurait eu vingt ans quand parut Andromaque ; ainsi tous les fruits successifs de ces riches années mûrirent pour lui et furent le mets de sa jeunesse ; il essuyait, sans se hâter, la chaleur féconde de ces soleils. Nul tourment, nulle envie. Que d’années d’étude ou de loisir durant lesquelles il dut se borner à lire avec douceur et réflexion, allant au fond des choses et attendant ! il résulte d’une note écrite vers 1720, par le père Bougerel ou par le père Le Long, dans des mémoires particuliers qui se trouvaient à la bibliothèque de l’Oratoire, que La Bruyère a été de cette congrégation[1]. Cela veut-il dire qu’il y fut simplement élevé ou qu’il y fut engagé quelque temps ? Sa première relation avec Bossuet se rattache peut-être à cette circonstance. Quoi qu’il en soit, il venait d’acheter une charge de trésorier de France à Caen lorsque Bossuet, qu’il connaissait on ne sait d’où, l’appela près de M. le Duc pour lui enseigner l’histoire. La Bruyère passa le reste de ses jours à l’hôtel de Condé à Versailles, attaché au prince en qualité d’homme de lettres avec mille écus de pension.

D’Olivet qui est malheureusement trop bref sur le célèbre auteur, mais dont la parole a de l’autorité, nous dit en des termes excellens : « On me l’a dépeint comme un philosophe, qui ne songeait qu’à vivre tranquille avec des amis et des livres, faisant un bon choix des uns et des autres ; ne cherchant ni ne fuyant le plaisir ; toujours disposé à une joie modeste, et ingénieux à la faire naître ; poli dans ses manières et sage dans ses discours ; craignant toute sorte d’ambition, même celle de montrer de l’esprit. » Le témoignage de l’académicien se trouve confirmé d’une manière frappante par celui de Saint-Simon qui insiste, avec l’autorité d’un témoin non suspect d’indulgence, précisément sur ces mêmes qualités de bon goût et de sagesse : « Le public, dit-il, perdit bientôt après (1696) un homme illustre par son esprit, par son style et par la connaissance des hommes ; je veux dire La Bruyère, qui mourut d’apoplexie à Versailles, après avoir surpassé Théophraste en travaillant d’après lui et avoir peint les hommes de notre temps dans ses nouveaux Caractères d’une manière inimi-

  1. Histoire manuscrite de l’Oratoire, par Adry, aux Archives du Royaume.