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nait pas fait et cause pour lui-même ; il condamnait à une simple amende l’homme qui avait dit : « Ni le courage, ni le désir ne me manqueront pour tuer César ; » enfin il écrivait à Tibère : « Ne te laisse pas aller à la vivacité de ton âge, et ne t’irrite pas trop si on dit du mal de nous, c’est bien assez si on ne nous en fait pas. »

Ce pouvoir fut certainement le plus doux de la terre ; parmi tant d’hommages que la flatterie lui adressa, il y en a un qui, dans l’antiquité, semble presque étrange, et qui donne bien idée de ce qu’était sa politique ; le jour où Auguste rentrait dans Rome, on ne faisait périr aucun criminel.

Mais il est un phénomène à observer : c’est que ceux qui arrivent comme Auguste pour terminer les guerres civiles, s’ils sortent un peu, dans l’usage de leur souveraineté, de la ligne de juste-milieu et de politique équivoque qu’ils adoptent d’ordinaire, c’est presque toujours pour réagir contre le parti qu’ils ont soutenu dans leur principe et qui les a portés au pouvoir. Les partis crient à l’ingratitude comme si on leur devait de la reconnaissance et non aux hommes. Cette ingratitude n’est qu’une réaction nécessaire. Henri IV, devenu roi, sentit très bien qu’il devait être roi de tout le monde et non des protestans, et que s’il se devait à quelqu’un, c’était peut-être plus encore à la Ligue avec qui il avait transigé qu’aux royalistes qui avaient combattu pour lui. Bonaparte, avant même d’être empereur, Bonaparte qui avait été patriote, relevait le culte et la noblesse, et pour premier ennemi, il avait les compagnons de sa victoire, Pichegru, Moreau, Bernadotte, comme Henri IV le maréchal de Biron.

Cela doit être : un parti vainqueur, ou qui se croit tel, ne comprend pas cette transaction tacite ou formelle sans laquelle ne se terminent pas les guerres civiles ; il se croit, comme les émigrés de 1814, ou les patriotes de 1830, des droits exclusifs et sans borne ; il ne reconnaît de droits à personne autre que lui ; il ne s’imagine pas de réfléchir, lui protestant, que son chef, pliant le genou devant la Ligue, s’est fait catholique à Saint-Denis, et que si Henri IV est entré dans Paris, c’est avec le consentement et en maintenant le principe de la Ligue. Il ne comprend pas, lui émigré, la charte de Saint-Ouen, ni lui patriote, les coups de fusil dans les rues de Paris contre les continuateurs arriérés de 1830 ; voilà pourquoi si son chef est habile, il se trouve bientôt en dissentiment avec son chef.