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DE L’ESPAGNE ET DE SON HISTOIRE.

d’un travail dont il appartenait à la France d’avoir l’initiative. Ce but ne pouvait être atteint que par des publications originales, encadrées dans un texte destiné à les réunir sans prétendre les commenter. Il fallait que l’écrivain s’effaçât devant les illustres morts, représentés après deux siècles dans toute la vérité de leurs passions et de leurs paroles les plus secrètes ; et pourtant le but eût été complètement manqué, si l’on n’avait su se placer assez haut pour saisir l’ensemble d’une négociation dont chacun des acteurs n’apercevait que des faces isolées, si l’on n’en avait coordonné toutes les parties, en conservant à chacune leur couleur spéciale.

Une révélation reçue de Madrid nécessitait, en effet, des ouvertures à Vienne ; un mot échappé à Londres modifiait notre attitude en Hollande. Tous les princes allemands, depuis l’électeur de Brandebourg, jusqu’au plus petit évêque régalé par la France[1], toutes les puissances du second ordre, le Portugal que Louis XIV payait pour faire la guerre, la Suède qu’il payait pour rester en paix, s’engrenaient comme des ressorts accessoires dans le jeu d’une mécanique immense. Les correspondances contemporaines doivent donc s’éclairer l’une par l’autre : un rapport de l’abbé de Saint-Romain, agent secret à Lisbonne, expliquera une dépêche de l’archevêque d’Embrun, ambassadeur à Madrid ; et c’est une lettre de M. de Gravel, ministre à Ratisbonne, de M. Gomont, envoyé à Cologne, ou de M. Millet, plénipotentiaire à Berlin, qui éclaircira des soupçons conçus par M. de Grémonville, à Vienne, ou le comte d’Estrades, à La Haye.

Le soin de réunir ces documens précieux et de les éclairer par une haute critique revenait de droit à un écrivain qui a eu le bon goût de rester fidèle à ses premières études, alors que de plus éclatantes fortunes pouvaient l’inciter à les abandonner. Les lettres profiteront d’une conduite pleine de convenance, si ce n’est d’habileté, et qui, sans compromettre l’avenir politique de M. Mignet, s’il veut un jour en poursuivre un, lui impose aujourd’hui, comme un devoir de position, de graves et honorables travaux.

Sur son œuvre de jeunesse, on avait pu deviner en lui plusieurs

  1. L’on emploie ici cette expression dans le sens qu’elle eut constamment sous Louis XIV, pour indiquer les présens et les subventions faits par un roi, et l’on demande humblement la permission de signaler cette lacune au Dictionnaire de l’Académie.