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vent de sa pensée, prenant aussi quelquefois nos réserves contre elle.

Ce qui saisit le plus vivement le voyageur en parcourant la Péninsule ibérique, c’est la stérilité des plus beaux dons du ciel. Un rempart de quatre-vingt-douze lieues la circonscrit et la protège, ne lui laissant que deux étroites ouvertures sur l’Europe, et cette configuration qui semblait, plus que toute autre cause, devoir assurer à l’Espagne un système politique dont l’intérêt national fût la base, ne l’a pas empêché d’user sa force et ses ressources dans les querelles continentales les plus étrangères à ses développemens intérieurs. Six cent cinquante-six lieues de côtes lui ouvrent d’excellens ports sur les deux mers ; et loin d’appeler dans son sein le commerce du monde, ces ports ont été les canaux par où sa force et sa richesse se sont écoulées vers des plages aujourd’hui perdues pour elle. Sur son sol si divers d’aspect et d’élémens, où la science se complaît à trouver comme un résumé de la création tout entière[1], les productions de toutes les zones se touchent et se confondent, et nulle contrée n’offre pourtant un tel aspect de misère et de désolation ; les arbres y manquent comme les hommes, les eaux comme les moissons. De grands fleuves, qui devraient doter ce pays du plus beau système de canalisation du monde, y portent la ruine et la stérilité, torrens impétueux grossis aux pluies de l’hiver, lits infects et desséchés sous un ardent soleil.

Cette lenteur à s’engager dans les voies de la civilisation moderne, cette constante misère à côté de tant de richesses, tiendraient-elles à un défaut inhérent, à la constitution physique de cette contrée, à la barrière qui la sépare du continent ? M. Mignet semble le croire. On pourrait répondre que si son isolement a nui à l’Espagne, c’est que les circonstances politiques où elle s’est trouvée engagée l’ont empêchée d’en recueillir le bénéfice, et que les mers qui entourent la Grande-Bretagne assurent sa sécurité intérieure et sa nationalité, sans être un obstacle à aucun de ses développemens. Nous pensons, pour notre compte, qu’ici tous les reproches doivent porter sur les institutions et sur les hommes, qu’aucun ne peut s’adresser à la nature, si ce n’est peut-être celui d’une trop grande fécondité.

  1. M. Bory de Saint-Vincent. Ses données ont été littéralement reproduites par le docteur Minano : Diccionario de Espana y Portugal. Madrid, 1826.