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DE L’ESPAGNE ET DE SON HISTOIRE.

les armes chrétiennes, et que l’Espagne se trouva réunie sous le sceptre de Ferdinand et d’Isabelle, une nouvelle ère s’ouvrit pour ce pays, qui parut rentrer enfin dans le mouvement imprimé aux autres sociétés contemporaines. Le pouvoir royal commença à s’y développer, assez fort pour créer l’unité nationale, trop faible pour étouffer le goût et l’habitude de la liberté. Les priviléges anarchiques de l’Aragon, qui légitimaient la guerre civile et l’imposaient comme un devoir, les institutions aristocratiques de la Castille, les fueros de toutes les villes, subirent l’action de la royauté et s’harmonisèrent avec elle. Le justiza d’Aragon vit s’abaisser ses prérogatives, égales, sinon supérieures, à celles des princes souverains ; l’exorbitante influence de la noblesse propriétaire d’une grande partie du sol des deux Castilles et de Léon fut attaquée par la force et minée par l’adresse. Ferdinand eut l’habileté de se faire élire, avec le concours de Rome, grand-maître des trois ordres militaires, et de rattacher ainsi ces corps puissans à la couronne. En s’appuyant sur les vieilles mœurs et les institutions particulières à la Péninsule, il usa de tout sans rien détruire ; c’est ainsi qu’il fit de la Sainte-Hermandad un moyen de police et un instrument de pouvoir non moins énergique que ne le fut en France l’établissement des troupes soldées.

L’Espagne rentrait donc enfin dans la voie générale des peuples, après avoir dépensé sept siècles à une œuvre glorieuse, mais stérile ; elle commençait à subir les influences auxquelles d’autres nations devaient des destinées déjà plus pacifiques et plus prospères. Si les vues patriotiques de Ferdinand avaient continué d’être appliquées, on ne saurait douter que ce beau royaume, au lieu de la splendeur factice et passagère du règne suivant, ne se fût élevé à cette puissance forte et permanente que donne la mise en œuvre de toutes les facultés natives. Un étranger vint suspendre violemment ce travail intérieur, et rejeter l’Espagne dans la position exceptionnelle dont elle commençait à sortir. Le Gantois Charles-Quint, avec son cortège de ministres belges et de soldats allemands, porta à la nationalité espagnole un coup dont elle ne se releva plus. Au lieu de se faire l’instrument de la grandeur naissante du royaume, il fit du royaume l’instrument de sa grandeur personnelle, et le roi d’Espagne disparut devant l’empereur.

L’œuvre de Ferdinand et d’Isabelle fut dénaturée par leur petit-