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fils. Au lieu de régler l’exubérance de la vie populaire, on préféra l’atteindre et la tarir dans sa source, et, selon l’usage de tous les despotismes, on coupa l’arbre pour cueillir le fruit. Les orageuses assemblées des cortès se turent devant les armes étrangères, les villes jouèrent leurs libertés dans des luttes inégales. Padilla de Tolède, Bravo de Ségovie, Maldonada de Salamanque, portèrent sur l’échafaud leur noble tête, et ce sang héroïque coula comme la sève d’un tronc frappé dans ses racines et qui voit bientôt pâlir et tomber sa couronne de verdure.

Le mauvais succès de l’insurrection des villes et l’éclatante vengeance qui en fut tirée, frappèrent au cœur le génie municipal alors qu’il commençait à s’épanouir. L’habileté et la fortune de l’empereur, les vice-royautés d’Italie et d’Amérique, les commandemens en Flandre et en Allemagne, étouffèrent en même temps la superbe indépendance de l’aristocratie espagnole. Contens du privilége de se couvrir devant leur maître, de le servir à sa cour et dans ses armées, les grands ne parurent plus dans les provinces dont ils possédaient la presque totalité du sol ; et un gouvernement ombrageux fit à cet égard une prescription de ce qui avait cessé déjà d’être dangereux pour lui. Un corps aristocratique sans action dans le gouvernement ne peut garder ni popularité ni importance politique. Ses richesses sont un effet sans cause, et comme une anomalie que lui font expier le mépris du pouvoir et la haine des peuples. Aussi la grandesse, sans racines dans la nation, fut-elle primée à la cour des princes autrichiens par les favoris du plus bas étage, et descendit promptement au dernier degré de l’impuissance et du rachitisme. On ne lui conserva pas même ces vains simulacres de liberté, dont on crut devoir amuser la vanité des procureurs des villes, dans les parades solennelles jouées par la royauté absolue.

Ainsi se desséchaient tous les germes d’avenir au sein de la triste Espagne. Pendant que son nom dominait les deux mondes, que ses flottes en couvraient les mers et qu’elle versait son sang sur tous les champs de bataille, la cause nationale y succombait sous des principes d’autant plus désastreux, qu’ils revêtaient des apparences plus brillantes. Les intérêts de l’empereur en Allemagne, en Flandre, en Italie, les développemens du système colonial auquel elle s’abandonnait avec une si funeste confiance, épuisèrent