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de l’outrager et de le pousser à bout chaque jour. O’Connell était le radical dont l’aristocratie avait le moins à redouter. Ce n’est pas uniquement un avocat opiniâtre du ballot et du suffrage universel. Tout terrible niveleur qu’on l’ait fait, il n’a guère du tribun que la parole vive et parfois grossière. Au fond c’est un homme d’état véritable et plus propre peut-être à fonder qu’à détruire. Qui sait toucher et mettre en mouvement comme lui les ressorts nécessaires au gouvernement d’une nation ou d’un parti ? Il a compris que l’instant n’est pas venu de gouverner par le menu peuple, en dehors du pouvoir électoral ; il s’adresse donc aux électeurs, à la classe moyenne, aux riches, de même qu’au peuple, et voici que sans rien perdre de sa souveraine autorité sur le paysan, il range sous sa bannière le marchand, le bourgeois et le lord. Ce n’est pas d’aujourd’hui d’ailleurs qu’il nourrit le projet de cette invincible agrégation : sûr qu’il était des masses, après la dernière session, il avait fait un appel pressant à la noblesse irlandaise et l’avait en partie déjà attachée à sa cause. Il n’est pas de moyen qu’il néglige ; tandis que dans les meetings publics, il entretient l’ardeur des multitudes et soutient leur enthousiasme, la presse répand partout ses proclamations et ses manifestes. Et il n’a pas eu assez de ces milliers de voix des feuilles locales publiques sous son inspiration. Il lui a fallu une tribune plus haute d’où il parlât ou fît parler selon ses vues à la Grande-Bretagne tout entière. C’est ainsi qu’il a fondé et qu’il conduit la Revue de Dublin, qui plaide aujourd’hui dignement et largement pour toutes les libertés de l’Irlande. Si étroite que soit son alliance avec les whigs, O’Connell ne s’est pourtant pas séparé des radicaux ; il n’est pas moins libéral qu’eux ; il est seulement meilleur politique, il comprend mieux les temporisations et les ménagemens que l’intérêt de la liberté lui-même exige. À vrai dire, le parti radical pur n’est pas sans pouvoir dans le pays, mais il n’est nullement appelé, quant à présent, à mener seul la marche des réformes. Un fait remarquable et qui valait bien la peine d’être constaté, quoique notre presse n’en ait pas dit un mot, c’est la retraite récente de M. Harvey, l’un des organes distingués de ce parti à la chambre des communes. M. Harvey y représentait Southwark, le faubourg le plus populeux de Londres. La lettre publique qui contient sa démission est fort curieuse et mérite la lecture. Il se plaint amèrement de ce que ses commettans lui aient rogné son mandat. Ils lui ont, dit-il, interdit le droit de presser l’administration et de l’attaquer au besoin, selon qu’il le jugeait nécessaire. C’est pourquoi il abdique ce pouvoir législatif qu’on ne lui laisse plus libre, et il rentre dans la vie privée. Certes ce n’est pas là un symptôme qui annonce que l’opinion se défie des whigs Et en effet, leur attitude vis-à-vis de la pairie justifie pleinement la confiance que montre en eux l’Angleterre.