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LE MAROC.

Il paraît, pour en revenir à Suleiman, que s’il avait des moyens de persuasion sur les consuls, il n’en avait pas de moins puissans sur leurs moitiés. Un consul se trouvant à Fez avec sa femme, qui était jeune et jolie ; le sultan leur fit en personne les honneurs de son palais avec une courtoisie tout-à-fait chevaleresque. Bientôt on s’aperçut que madame la consule était restée en arrière, elle s’était sans doute oubliée dans quelque appartement du harem ; mais le hasard voulut que sa majesté marocaine eût disparu en même temps. L’absence se prolongea, et quelle qu’en fût la cause, le couple égaré reparut ensemble ; la belle étrangère avait au cou un riche collier de perles. Du reste, Suleiman se piquait peu d’orthodoxie en fait d’amour ; en même temps qu’il passait des colliers au cou des chrétiennes, il rendait hommage à la beauté des filles d’Israël. Il se trouvait à Tanger en 1821 ; deux jeunes Hébreux se présentèrent devant lui pour vider un différend assez bizarre : ils étaient amoureux de la même femme, et comme elle hésitait entre eux, les deux poursuivans demandèrent que le sultan intervînt et la fixât dans son choix. La jeune fille en litige était belle, Suleiman s’en aperçut ; il passa avec elle dans un appartement voisin sous prétexte de l’examiner plus à son aise, et fit dire aux rivaux qui attendaient son arrêt avec anxiété, que, ne voulant pas sacrifier l’un des deux à l’autre, il gardait pour lui la pomme de discorde.

Plus orthodoxes que le monarque, les santons ne pousseraient pas si loin la convoitise, ils craindraient de compromettre leur sainteté en sacrifiant aux femmes étrangères. C’est qu’aussi leurs faveurs sont plus précieuses et leurs dons trop magnifiques pour être prodigués aux filles des idolâtres. Ce ne sont pas des colliers qu’ils donnent en échange d’un instant d’ivresse, c’est la clé du paradis et des brevets de béatitude. Il est vrai qu’ils donnent aussi des coups de bâton, mais c’est encore là une grâce particulière, et quand le bâton sacré tombe sur un croyant, le croyant baise avec gratitude la main qui a daigné frapper.

Tous les santons ne sont pas fous ou voluptueux, la majorité exerce des industries moins excentriques ; ils font, en général, le métier de prophètes et d’inspirés ; leur rôle les rapproche beaucoup de nos meiges, ou sorciers de villages. Ils ont des paroles magiques pour conjurer les esprits malfaisans, et d’infaillibles recettes contre les maladies des bestiaux et des hommes. On vient les con-