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LE MAROC.

désert d’Angad ; laissant sur la gauche Alger, Tunis et les autres villes de la côte, elle marche droit sur Tripoli et de là sur l’Égypte à travers ce périlleux désert de Barca, peuplé de Bédouins toujours prêts à dévaliser les pélerins. Enfin la caravane passe l’isthme, elle entre en Arabie, et, après un voyage de près de deux mille lieues, elle arrive à la Mecque pour la grande fête du Korban. Chaque pélerin, quels que soient sa fortune et son rang, prend alors et garde le reste de ses jours ce titre honorifique de hadji, dont les musulmans sont si jaloux ; il a le droit aussi de porter un turban particulier.

Certes, il faut une foi bien forte pour arracher à leur indolence naturelle ces tribus paresseuses et les emporter ainsi à travers la terre, et cela pour une idée ; mais toute puissance n’appartient-elle pas à l’idée ? N’est-ce pas l’idée qui fait les miracles ?

Toutefois, depuis que les Wahabites, espèce de Sociniens mahométans, ont pris la Mecque et pillé ses trésors, le pélerinage est moins fréquenté ; les Maures qui le tentent sont de jour en jour moins nombreux, et si quelque révolution ne vient pas rendre le tombeau du prophète à l’orthodoxie, le pélerinage finira par tomber tout-à-fait en désuétude.

Quoique le centre de l’islamisme soit déjà livré à l’incrédulité, les extrémités sont encore croyantes ; les Maures sont dévots jusqu’au fanatisme. Attisée par le voisinage et par de vieilles rancunes, la haine du nom chrétien est ardente et vivace au cœur des Maures. Tanger est, sous ce rapport, une ville d’exception ; la présence des consuls dont elle est la résidence, a accoutumé les yeux de la population à nos habits et à nos usages. Il y a plus de vingt ans que l’esclavage des chrétiens est aboli dans toute l’étendue de l’empire.

Indépendamment des consuls, on compte une vingtaine de familles européennes établies à Tanger à l’ombre des pavillons consulaires. Il y a même un couvent desservi par deux franciscains espagnols, lesquels constituent tout le clergé chrétien du Maroc. Les deux moines sont d’humeur fort dissemblable, l’un est un homme du siècle qui mène joyeuse vie et boit comme un templier ; l’autre fuit le monde et vit dans la solitude. Il s’est construit au milieu du cimetière chrétien une petite hutte de feuillage, et c’est dans cette Thébaïde qu’il passe toutes ses journées en méditations