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nément, et Tanger pourtant est de tout l’empire la ville la plus familiarisée avec la vue des chrétiens.

Tanger, en arabe Tangia, n’est pas une belle ville, tant s’en faut. Les maisons sont basses, irrégulières, mal bâties et totalement dénuées d’architecture. Elles sont toutes taillées sur le même patron : c’est une grosse masse carrée, sans jour extérieur, avec une terrasse pour toit, le tout passé à la chaux ; on conçoit que ces grands cubes blancs et uniformes ne soient pas fort gais à voir et qu’ils ne jettent pas beaucoup de variété dans une ville. Les maisons se ressemblent à l’intérieur, comme elles se ressemblent au dehors ; elles ont toutes, ainsi qu’à Pompeïa, une cour carrée sur laquelle s’ouvrent un rez-de-chaussée et un premier étage, soigneusement clos par de lourdes portes ferrées et verrouillées. Quelques-unes de ces cours sont ombragées de vignes ou de figuiers.

Les rues, ou plutôt les sentiers qui serpentent entre ces jalouses forteresses, sont étroites, tortueuses, pleines de cailloux et d’immondices. Une seule rue passable et assez droite traverse toute la ville du haut en bas, et descend à la marine. Cette rue est coupée en deux par une place, la seule de Tanger, et bordée dans sa partie supérieure de deux rangs de boutiques. La place en est aussi environnée : c’est le Palais-Royal de Tanger. Mais quelle saleté ! quelles odeurs ! La boutique maure est une espèce d’antre noir et profond, creusé dans le mur, sans porte, avec une fenêtre à hauteur d’appui où la marchandise est étalée, et par laquelle on sert le chaland qui reste en dehors. Gravement accroupi sous l’auvent, le flegmatique vendeur attend la pratique en fumant le kif on le hachichia, deux plantes qui remplacent le tabac chez les Maures. Toutes les boutiques sont tenues par les hommes ; les femmes ne sont pas jugées dignes d’un si haut emploi. Véritables bêtes de somme, elles portent l’eau et le bois ; on s’en sert aussi pour tourner la meule des moulins, et même on en voit à la charrue, attelées à côté d’un âne ou d’un mulet, et partageant avec eux le dur labeur et les coups d’aiguillon.

Ce qu’on prend souvent pour une boutique est un tribunal ou un bureau public. Les hauts fonctionnaires siègent accroupis à la fenêtre comme le boutiquier : c’est là que le kadi rend la justice et que le muhtesib fait la police. On amène le délinquant, le cas est exposé