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LE MAROC.

nom, est élu par le sultan et le représente directement. C’est un préfet ; investi de l’autorité exécutive, il n’a rien à voir dans les affaires civiles : les peuples les plus barbares ont un instinct naturel qui les conduit à cette grande loi de la séparation des pouvoirs, qui est le fondement et la sauve-garde de toute justice. Le kaïd préside à la sûreté publique et commande les troupes de son gouvernement. Il forme à lui seul une espèce de tribunal à la fois politique, criminel, municipal et militaire ; et comme il n’y a pas d’autre code écrit que le Koran et les commentaires fort élastiques de Malek-Ben-Anès[1], l’arbitraire le plus absolu dicte ses sentences. C’est bien ici que le caractère du magistrat et ses lumières naturelles influent sur ses arrêts ; non-seulement il prononce sur le fait, mais sur la peine ; bien plus, il fait la loi, c’est-à-dire qu’il est à la fois législateur, juge et jury. Malgré tant de confusion, tant d’arbitraire, il règne dans les villes maures une sécurité qui étonne : toute la nuit des patrouilles de soldats font la ronde, sous les ordres d’un officier, kaïd-ed-daur, commandant de la ronde ; ils veillent à la sûreté des rues, et, pour quelques onces, ils gardent les boutiques sous leur propre responsabilité.

Quoique je fusse entré dans sa ville sans sa permission et que j’eusse enfreint les lois de l’empire, le kaïd ne paraissait pas s’en souvenir ; quand nous nous rencontrions, il répondait à mon coup de chapeau européen en portant la main sur son cœur, et au lieu du simple salama (salut) qu’on donne aux chrétiens, il me donnait gracieusement le salem alikom (la paix soit avec vous). C’était de sa part une distinction particulière ; il fallait qu’il espérât de moi, au départ, un bien beau cadeau. Avant d’être gouverneur, cet homme avait été condamné, je ne sais pour quel délit, à la bastonnade, et la sentence fut exécutée, à Tanger même, par un soldat qui est aujourd’hui soldat d’Espagne[2]. Il ne lui avait pas gardé rancune le moins du monde, et ne lui avait jamais témoigné,

  1. Le code de Malek contient, en quarante chapitres, toute la jurisprudence canonique et ecclésiastique, laquelle s’applique à tout. Il existe aussi en matière civile et commerciale une espèce de bulletin des lois ; c’est un recueil de préceptes et un formulaire pour les écritures publiques. L’auteur de cette compilation est Mohamed-Ben-Ardùn.
  2. Chaque consul a à sa solde un soldat qu’il reçoit des mains du gouvernement en signe de protection et qui ne le quitte jamais. Il l’accompagne partout, soit à cheval, soit à pied, et couche sur une natte à la porte du consulat. Ces soldats finissent par s’attacher aux consuls et leur sont quelquefois dévoués.