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et chanoines, tous les préfets et sous-préfets, tous les employés dans les ministères, tous les juges, et en sus de cela, les dix mille propriétaires les plus riches parmi ceux qui vivent noblement.
« Cet accident affligerait certainement les Français, parce qu’ils sont bons, parce qu’ils ne sauraient voir avec indifférence la disparition subite d’un aussi grand nombre de leurs compatriotes. Mais cette perte de trente mille individus, réputés les plus importans de l’état, ne leur causerait de chagrins que sous un rapport purement sentimental, car il n’en résulterait aucun mal pour l’état.
« D’abord par la raison qu’il serait très facile de remplir les places qui seraient devenues vacantes. Il existe un grand nombre de Français en état d’exercer les fonctions de frère du roi aussi bien que Monsieur ; beaucoup sont capables d’occuper les places des princes tout aussi convenablement que monseigneur le duc d’Angoulême, monseigneur le duc d’Orléans, etc.
« Les antichambres du château sont pleines de courtisans, prêts à occuper les places des grands-officiers de la couronne ; l’armée possède une grande quantité de militaires aussi bons capitaines que nos maréchaux actuels. Que de commis valent nos ministres d’état ! Que d’administrateurs plus en état de bien gérer les affaires des départemens que les préfets et sous-préfets présentement en activité ! Que d’avocats aussi bons jurisconsultes que nos juges ! Que de curés aussi capables que nos cardinaux, que nos archevêques, que nos évêques, que nos grands-vicaires et que nos chanoines ! Quant aux dix mille propriétaires, leurs héritiers n’auraient besoin d’aucun apprentissage pour faire les honneurs de leurs salons aussi bien qu’eux. »

Cette moquerie, si douce et si fine, fut prise en mauvaise part. Les grands noms mis en scène, et trouvés si légers de poids auprès des noms industriels et scientifiques, ne passèrent pas condamnation immédiate, et voulurent qu’un procès criminel décidât de leur importance sociale. Ce fut étrange de voir alors le comte de Saint-Simon, le petit-fils du grand-seigneur de la cour de Louis XIV, venir se défendre, devant des juges, d’avoir avancé que la mort du comte d’Artois et celle du duc d’Angoulême feraient moins de vide en France que celle d’un grand manufacturier. Singulier procès dont un acquittement ne fit qu’accroître le scandale !

Du reste, cette Parabole que nous venons de citer ne fut aux yeux de Saint-Simon qu’une boutade spirituelle, dont ses disciples ont toujours contesté l’à-propos et la valeur. Il acheva, vers ce temps, des travaux plus graves et plus complets : laRéorganisa-