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SOCIALISTES MODERNES.

Jusque-là l’auditoire, bien que remué par des sentimens divers, avait écouté en silence ; mais, à cette dernière définition, M. Pierre Leroux ne se contint plus : « Vous exposez là, dit-il à M. Enfantin, une doctrine que le collége a unanimement repoussée ; je suis venu ici pour vous le dire ; je vais me retirer. » À quoi M. Enfantin répondit : « La preuve de la vérité de mes paroles, vous la voyez. Voilà l’homme (et il montrait M. Pierre Leroux) qui représente le mieux la vertu, telle qu’elle a été conçue jusqu’à présent ; et, vous le voyez, la vertu de cet homme ne peut pas comprendre ce qu’il y a d’universel dans mes paroles. »

Nous le croyons certes bien.

La discussion continua ainsi dans la première séance, mêlée de récriminations et de paroles très vives, et suivie de la retraite en masse des dissidens, parmi lesquels figuraient MM. Leroux, Raynaud, Cazeaux, Pereire et autres. Mais dans la seconde séance, M. Enfantin ne souffrit plus le débat. Après avoir congédié les protestans d’une façon assez brutale, il s’adressa aux fidèles qui lui restaient, et leur montra le fauteuil de M. Bazard, resté vide à ses côtés, comme le symbole de l’appel à la femme. M. Rodrigues se leva après lui, et fit un autre appel, l’appel à l’argent, dont il voulait installer la puissance morale. Ce jour-là, la hiérarchie se modifia une fois encore : M. Enfantin fut déclaré, par M. Olinde Rodrigues, l’homme le plus moral de son temps, le vrai successeur de Saint-Simon, le chef suprême de la religion saint-simonienne ; puis, avec le même sérieux, M. Olinde Rodrigues se posa lui-même comme le père de l’industrie et le chef du culte saint-simonien.

L’aspect de la religion se modifia en même temps que la hiérarchie. On laissa de côté le dogme, travail favori de Bazard, pour se tourner vers les questions de culte et de morale. On passa de la spéculation à la réalisation. La chair fut solennellement réhabilitée ; on sanctifia le travail, on sanctifia la table, on sanctifia les appétits voluptueux, le tout en se servant de termes assez lestes, car on attendait que la femme vînt donner à la religion le code de la délicatesse et de la pudeur. Cette venue de la femme, cette attente d’un Messie de l’autre sexe fut le long rêve de la dernière période saint-simonienne. On ne pouvait pas marcher sans elle ; on l’invoquait chaque jour ; on la voyait partout. La femme manquant, le couple sacerdotal demeurait incomplet ; la religion cheminait boiteuse. Aussi, pour