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décider cette révélation nouvelle, employa-t-on tous les moyens à l’aide desquels on agit sur l’imagination et sur les sens. L’hiver de 1832 fut une longue fête dans la rue Monsigny. La religion se couronna de roses, elle se sanctifia à la fumée du punch et aux dansantes harmonies de l’orchestre ; elle convia tout Paris à ses fêtes, bien sûre que Paris ne lui rendrait pas ses politesses. À ces réunions parurent quelques femmes élégantes, jeunes, gracieuses, fraîches, jolies, qui dansaient pour danser, riaient pour rire, le tout d’une façon mondaine, et sans entrevoir le côté profondément religieux de ces danses et de ces rires. La religion y consuma ses dernières ressources, sans que la femme répondît à son appel.

Pour soutenir ce luxe, pour solder ces bals, pour mettre l’ordinaire de la religion sur un pied qui fût à la hauteur des projets nouveaux, il fallait de l’argent, beaucoup d’argent. Le Globe, distribué gratis, absorbait une somme annuelle fort importante, et les apports avaient diminué depuis la rupture. MM. Alexis Petit, H. Fournel, d’Eichtal, Ollivier, Rigaud, Toché, Barrault, et M. Enfantin lui-même s’étaient peu à peu dépouillés pour la religion. En caisse, il ne restait rien, ou il restait peu de chose en numéraire ; les propriétés qui formaient le solde du fonds commun n’étaient pas facilement réalisables. Le budget, au 31 juillet 1831, présentait une balance presque parfaite entre l’actif et le passif : les dons en argent étaient de 218,000 francs ; les dépenses faites de 250,000. On se serait trouvé en déficit si une somme de 600,000 francs environ, en titres d’immeubles, ne fût pas demeurée libre.

Voilà quelle était la situation financière du saint-simonisme quand M. Olinde Rodrigues lança son appel à l’argent. « Rotschild, Aguado, Laffitte, dit-il, n’ont rien entrepris d’aussi grand que ce que je viens entreprendre. Tous ils sont venus, après la guerre, donner au vaincu le crédit nécessaire pour satisfaire le vainqueur. Leur mission périt et la mienne commence. On escompte à la bourse de Paris, de Londres et de Berlin, l’avenir politique et financier de l’association des travailleurs. J’entreprends de fonder le crédit saint-simonien. » Un acte fut en effet passé par-devant Me Lehon, qui constituait la société collective Benjamin-Olinde Rodrigues et compagnie, sous l’autorisation et avec l’aide de M. Enfantin. Des actions et des coupons d’actions furent émis au capital nominal de 1000 francs, et au capital réel de 250 francs.