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torat de la Moldavie et de la Valachie, une influence en Perse, telle qu’aucune autre puissance n’est désormais en mesure de lui tenir tête ; enfin la position prise par la Russie à Constantinople n’est-elle pas aujourd’hui le fait le plus grave de la diplomatie, et tous les efforts de l’Europe ne tendent-ils pas à empêcher l’accomplissement des vastes projets de Pierre Ier, déjà réalisés en partie ?

Pour arriver à ce résultat, la Russie n’a épargné ni protestations politiques, ni appel au principe religieux, ni corruptions adroitement préparées. Sachant s’arrêter à point nommé, elle ne s’aventure jamais dans un système ; quand son ambition a trop donné l’éveil, elle fait une concession momentanée ; puis elle reprend, avec une admirable suite, ses projets d’autrefois. Quand les temps sont venus et les obstacles abaissés, elle marche droit à la réalisation de sa pensée.

Lorsque le comte de Nesselrode commença sa carrière dans les rangs secondaires de la diplomatie, Catherine, frappée d’une apoplexie foudroyante, descendait dans la tombe ; elle cédait le sceptre au grand-duc Paul, qu’elle avait tenu dans l’obscurité la plus profonde. Le grand-duc fut, en quelque sorte, jeté d’un cachot sur le trône, de la solitude au gouvernement de quarante millions d’ames. On a exagéré la sombre bizarrerie de Paul Ier ; on l’a présenté comme un prince passant soudainement d’un despotisme farouche à la bienfaisance et à la douce intimité. Paul Ier était du sang de Pierre Ier ; entouré de conjurations, menacé dans sa personne, dans sa couronne, il fut souvent forcé de prendre ces résolutions inattendues qui ne purent lui sauver la vie. Les caractères naissent presque toujours des situations. Pour juger Paul, il faut descendre dans les profondeurs de l’esprit national des Russes, et voir si l’empereur n’était pas la vivante image de cette noblesse qui en finit avec son prince en l’étouffant sous des oreillers.

L’Europe avait pris une impulsion nouvelle depuis la révolution française. Paul Ier défendit la cause de l’unité royale en France ; inquiété lui-même par l’esprit de révolte, il dut voir avec peu de faveur cette explosion populaire qui éclatait chez nous ; mais l’éloignement de la Russie, ses embarras financiers, le partage de la Pologne, ne lui permirent pas de prendre part à la première coalition contre la révolution française ; les Russes n’entrèrent en ligne qu’à la seconde guerre d’Italie, lors de la campagne de