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armée. La vieille éducation du chancelier d’état allait le servir ici ; car la première conséquence de la révolution de juillet était, sinon de faire revivre le vieux traité de la sainte-alliance, parchemin tombé en pièces, au moins de préparer un traité de garantie mutuelle. Il fallait oublier toutes les dissidences particulières pour courir au plus pressé ; les idées du prince de Metternich reparaissaient à la surface ; on faisait un retour vers les projets de 1815. Nous sommes assez portés à croire que M. de Nesselrode ne vit pas avec déplaisir ce retour vers des principes qu’il comprenait mieux, et dont il avait nourri ses premières années d’études et de travail. Mais l’âge était venu. M. de Nesselrode, en 1830, avait atteint sa soixantième année, et ce n’est pas au déclin de la vie que l’on est préparé à ces grandes perturbations qui dérangent l’existence. On n’a pas tenu assez compte, en récapitulant les causes du maintien de la paix, de cette peur de dérangement qui dominait ces existences fatiguées. Ce n’est pas sans raison que l’antique Grèce avait mis dans les mains des vieillards la déclaration de la guerre. Supposez à M. de Metternich l’effervescence des jeunes années, au comte de Nesselrode quinze ans de moins, qui sait ? peut-être la guerre eût éclaté violente, et avec elle toutes les chances de désordre.

D’ailleurs le mouvement de la Pologne devenait une suffisante occupation à la Russie, et les idées de l’empereur Nicolas se trouvaient, sous le point de vue de la répression, en parfaite harmonie avec l’école de son ministre. Ce que voulait la nation russe, c’était la réunion de la Pologne. Sans partager sur ce point tous les préjugés des vieux Moscovites, le chancelier d’état était d’avis que cette nationalité divisée, que ce gouvernement double et simultané nuisait à l’unité politique et administrative de la Russie. C’est un fait remarquable que cet ensemble d’administrations diverses qui constituent le vaste empire russe, et qui toutes correspondent à un centre commun sous la main de l’empereur. Le cabinet de Saint-Pétersbourg commande à mille peuples divers : Tartares, Mahométans, Polonais, Cosaques. Chacun de ces peuples a ses lois, ses coutumes, sa puissance, ses souvenirs. Il n’y a là ni forme commune de lever l’impôt, ni même, jusqu’à un certain point, homogénéité pour la conscription militaire ; les uns paient tribut, les autres sont tenus à des redevances d’armes, de chevaux ; ici le recrutement se fait par les seigneurs, là par des levées en masse ; quelques peuples sont