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DANTE, PÉTRARQUE ET BOCCACE.

comme un enfant nouveau-né exposé dans un désert : on saurait difficilement imaginer un moyen plus sûr pour empêcher qu’il ne trouvât des lecteurs. Aucun libraire anglais n’a voulu s’en charger. Les frais de l’impression ont été fournis par un généreux protecteur auquel l’ouvrage est dédié.

Néanmoins il a été mis à l’index. Ce n’est pas cette sentence qui nous étonne : la dixième partie de ce qu’il contient, eût suffi pour la lui attirer. Mais comment la censure romaine a-t-elle été informée de l’existence de ce livre ? On ignore généralement en Italie ce qui s’imprime au-delà des Alpes ; à peine la France fait-elle exception. Il faut donc que quelques exemplaires se soient glissés furtivement ou accidentellement à travers tant de barrières qui s’opposent en Italie à l’introduction des livres étrangers, pour peu qu’ils paraissent suspects.

Parmi les compatriotes de l’auteur, ceux qui ont eu un sort semblable au sien, et qui partagent ses opinions politiques, accueilleront peut-être son hypothèse comme une espèce de consolation ; mais, assurément, elle n’aura point de succès auprès des admirateurs désintéressés de la poésie italienne, qui n’ont aucun motif pour faire des rapprochemens forcés entre les auteurs du xive siècle et des évènemens plus récens.

Qu’il se soit manifesté pendant tout le moyen-âge en diverses contrées de l’Europe un esprit d’opposition très prononcé, souvent très hardi, contre les usurpations pontificales et la corruption des mœurs du clergé, c’est un fait si universellement connu, si bien constaté, qu’il est superflu de vouloir le prouver de nouveau. M. Rossetti, dans son premier chapitre, intitulé : Du Langage ouvert contre Rome, dit là-dessus des choses qui sont vraies, mais rien moins que neuves. Dès le second chapitre, du Langage secret contre Rome, il commence à développer son hypothèse qui remplit tout le reste du volume. Il soutient qu’il existait dans les xive et xve siècles une vaste association secrète, répandue dans toute l’Italie ; qu’elle se rattachait à la secte des Albigeois ; que son but était le renversement du saint-siége et une réforme radicale dans l’église, telle que les protestans l’ont opérée dans le xvie siècle ; que les membres de cette association avaient inventé un langage de convention, par lequel ils pouvaient se reconnaître et se communiquer leurs pensées, sans que leurs compatriotes non initiés, et surtout sans que