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Grèce étaient primitivement des symboles des puissances naturelles ou des facultés de l’ame ; mais ce n’étaient pas des personnifications inventées exprès par la réflexion ; c’étaient plutôt les créations spontanées d’une imagination jeune, pour laquelle tout était animé dans la nature. Ensuite la tradition fit l’histoire de ces divinités, et par là les transforma en individus. De même Dante, dans ses personnifications, a tellement fondu ensemble la partie idéale et le caractère individuel, qu’il n’est plus possible de les séparer. Le voyageur qui traverse les trois régions où les ames séjournent selon leur état moral est l’homme naturel ; mais c’est aussi lui, le poète, Dante Alighieri, avec toutes ses particularités biographiques. Virgile figure la raison non éclairée par la révélation ; mais c’est aussi le poète latin que tout le moyen-âge a vénéré comme un grand sage. Béatrice représente la science des choses divines ; mais c’est aussi Béatrice Portinari, dont la chaste beauté avait fait sur Dante, dès sa première jeunesse, une impression profonde. Qu’y a-t-il donc de si inconcevable dans cette combinaison ? Le beau est un reflet des perfections divines dans le monde visible, et, selon la fiction platonique, une admiration pure fait pousser les ailes dont l’âme a besoin pour s’élever vers les régions célestes.

Quelques allégories spéciales ont été fort débattues, et les commentateurs n’ont pu s’accorder sur leur sens. Cela prouve qu’elles n’étaient pas heureusement imaginées ; mais on peut les laisser de côté sans que cela nuise à l’ensemble.

Les visions, à la fin du Purgatoire (chant xxxii), où Dante a emprunté des images de l’Apocalypse, se rapportent aux intrigues et aux querelles de Boniface VIII et de Philippe-le-Bel, et à la translation du saint-siége à Avignon. Le poète a dû se servir ici de formes prophétiques, parce que ces évènemens sont postérieurs à l’époque de son voyage idéal, c’est-à-dire à l’an 1300. Néanmoins l’allégorie est très claire : tous les commentateurs l’ont comprise.

On peut attribuer à Dante un esprit antipapal dans le sens que nous venons d’indiquer ; mais si on entend par là le rejet d’une autorité centrale et suprême dans l’église, et le désir de renverser le saint-siége, rien n’était plus éloigné de sa pensée. À cet égard, le discours prêté à saint Pierre (Parad. xvii) est décisif. La sainteté de l’institution en elle-même est maintenue, malgré l’horrible dépravation où elle était tombée. Tout ce morceau est su-