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née, Boccace attaque les inquisiteurs dominicains, en peignant leur espionnage, leurs chicanes et leur vénalité. Ensuite, quelque variée que soit la scène de ses contes, il ne donne jamais un long répit aux prêtres et aux moines. Nous y voyons paraître un honnête mais simple confesseur, qui, à son insu, fait les messages d’amour d’une dame ; puis vient le voyage du riche fermier Ferondo dans le purgatoire ; le cordelier Albert, déguisé en ange Gabriel ; le sermon du frère Ciboule, tout rempli de pélerinages fabuleux et de reliques bouffonnes, chef-d’œuvre de parodie ; et bien d’autres contes encore qu’il est plus convenable de ne pas indiquer davantage.

On peut blâmer Boccace, non sans raison, de n’avoir pas mis de bornes à sa témérité et à sa pétulance ; mais, assurément, rien n’était plus éloigné de son caractère que la réserve et la dissimulation. Faisant assez bravement la guerre pour son propre compte, qu’avait-il besoin de se liguer avec une armée de sectaires poltrons ? Ce joyeux compagnon était-il d’humeur à se laisser mystifier par des marchands de mystères impénétrables ? L’amour, et un amour rien moins que platonique, l’ambition d’auteur, enfin, l’étude de la littérature classique, dont il poussait l’admiration jusqu’à l’idolâtrie, ont occupé tour à tour sa vie, et ne laissaient point de place pour l’esprit de secte.

La conversion de Boccace, dont ses biographes parlent, n’a rien de commun avec la question qui nous occupe. Le chartreux qui vint le visiter, lorsqu’il avait près de cinquante ans, ne voulait pas convaincre de la foi catholique le sectaire, le patarin, l’hérétique ; il voulait rappeler le mondain à une vie régulière et aux méditations religieuses. Le but était louable, mais les moyens employés, une prophétie et une vision miraculeuse, furent désapprouvés par le sage et pieux Pétrarque. Boccace, qui s’était tant moqué des gens de bonne foi qui croient aux faux miracles, avait un peu mérité l’humiliation d’en être effrayé à son tour. L’effet ne paraît pas avoir été durable : on n’en voit aucune trace dans ses écrits, dont les plus importans, d’ailleurs, sont antérieurs à cette époque.

Dante et Pétrarque étaient de profonds théologiens, et ont été reconnus pour tels par beaucoup de savans de l’église catholique ; Boccace, au contraire, n’a jamais fait d’études sérieuses en ce