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LES BARDES.

les désastres du règne d’Arthur qui apportèrent les Saxons au cœur de la Cambrie, et décidèrent la question entre les anciens possesseurs du sol breton et les nouveaux conquérans germains, il resta dans le petit pays cambrien, une foi opiniâtre à la résurrection future de la nationalité bretonne et une invincible espérance. Les bardes se firent les apôtres de cette foi, les prophètes de cette espérance ; déjà autrefois les druides, dans la révolte du Gaulois Vindex, mêlaient à leurs exhortations belliqueuses la prédiction de l’affranchissement de la Gaule et de la chute de l’empire romain ; de même les bardes cambriens transmirent de siècle en siècle dans leurs chants des prophéties patriotiques, inspirées par cette attente indomptée qu’elles nourrissaient.

Jamais poètes ne furent plus complètement identifiés aux sentimens populaires que les bardes cambriens. Jamais poésie ne fut plus profondément nationale que la leur. Les habitudes prophétiques que la poésie des anciens bardes gaulois pouvait devoir à leur commerce avec les devins et les druides furent ravivées par la situation politique d’un peuple qui ne vivait que dans l’avenir. Les bardes se refirent devins pour prédire cet avenir, pour annoncer le retour d’Arthur qui devait reparaître et affranchir son pays. Les bardes furent prophètes à la manière des prophètes juifs, annonçant de même un sauveur, un Messie, un libérateur de la nation opprimée. De là vint la grande célébrité de Merlin, dont le souvenir se liait avec celui d’Arthur ; de là les prédictions mises sous son nom à diverses époques, et qui étaient des vœux d’indépendance ou des menaces d’insurrection.

Merlin lui-même avait dit : « Les Cambriens seront triomphans, leur chef sera illustre ; chacun aura son droit, les Bretons seront dans la joie[1]. »

Dès 630, un barde annonçant que le pays serait sauvé quand l’ennemi viendrait dans ses entrailles, disait : « C’est Merlin qui l’a prédit ! » Voici avec quelle énergie ce barde prophétisait la ruine des Saxons et la renaissance de la nationalité bretonne.

« Le chant prophétique le déclare : le jour arrivera où les hommes de Cambrie s’assembleront unanimes dans leur résolution, avec un seul dessein, un seul cœur. Alors l’étranger s’éloignera ; alors

  1. Avellanau de Merlin, cité par Sh. Turner. Hist. of Anglo-Saxons, t. iii, p. 384.