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disme gaulois, parce que sa vie toujours mêlée à la vie nationale, ne s’y est complètement éteinte qu’à une époque assez peu ancienne. C’était donc le théâtre sur lequel il était le plus important d’étudier le développement général, de l’institution et de la poésie des bardes ; je serai beaucoup plus court en traitant des bardes de l’Irlande et de l’Écosse, dont les destinées ont été moins complètes et sont moins connues.

En Irlande, le bardisme est très ancien. Malheureusement tout ce qui tient aux antiquités de l’Irlande a été embrouillé outre mesure par les rêveries des antiquaires. Si on les croyait, il y aurait eu des académies en Irlande avant Jésus-Christ. Ce serait le roi Cormac, restaurateur de la fabuleuse académie de Tara, qui, antérieurement à l’introduction du christianisme, aurait institué les dix offices, confiés à dix personnages qui ne devaient jamais s’éloigner du roi[1]. Les principaux étaient le druide pour prier et offrir des sacrifices en sa faveur, le chef des seigneurs pour le conseiller, un barde pour chanter les actions de ses ancêtres, un médecin pour prendre soin de sa santé, un musicien pour les divertir… De plus, chacun des nobles avait aussi son druide, son premier vassal, son barde, son juge. Ces quatre fonctions étaient rémunérées par des terres héréditaires dans les familles comme les fonctions elles-mêmes.

Cette organisation ne fut point l’œuvre du très douteux roi Cormac ; mais tout porte à croire qu’elle était l’organisation primitive de chaque tribu irlandaise. Le poète avait là sa place marquée, comme dans l’antique commune indienne, agrégation primordiale, molécule sociale indestructible, qui a résisté aux innombrables conquêtes que l’Inde a subies. Chaque commune a son prêtre, son astrologue et aussi son poète[2]. La fonction de poète est un office public, un élément fondamental de la petite communauté. Il en était de même dans l’ancienne Irlande ; même après la conquête anglaise et l’introduction du christianisme, l’office de barde se transmit héréditaire dans quelques familles.

  1. Holland, History of the druids, p. 89.
  2. Les douze offices essentiels à la communauté sont le charpentier, le forgeron, le cordonnier, le mhar, espèce de watchman ; le cordier, qui est aussi le bourreau, et se loue quelquefois pour assassiner ; le potier, le barbier, le blanchisseur, le prêtre, le poète, le distributeur d’eau. Ces douze offices expriment avec une naïveté, que leur diversité rend très piquante, les besoins fondamentaux d’une société primitive.