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POÈTES ÉPIQUES.

toire primitive de Rome. Ainsi, du moins, s’explique comment il transporta la harpe de Siegfried dans le Pomœrium des Latins, et comment il attribua à la plèbe romaine le génie idéal des Scandinaves et l’instinct de poésie des Burgondes. On a reproché au siècle de Louis XIV d’avoir fait des anciens autant de seigneurs de la cour de Versailles. Ne pourrait-on pas dire que Niebuhr les a trop souvent changés en Germains de sa tribu, des Dittmarses ?

De la même manière que Wolf avait aboli Homère, Niebuhr abolit les trois premiers siècles de Rome, au profit du chant populaire. Cette hypothèse n’était ni moins hardie, ni moins riche que la précédente ; elle s’appuya comme elle sur l’analogie ; en outre, elle édifiait ce qu’elle semblait détruire ; déjà à moitié renversées par Beaufort, les annales des rois et des premiers consuls se changeaient en une suite d’aventures fictives et de rhapsodies héroïques ; ainsi dans Virgile, les vieux vaisseaux échoués s’étaient métamorphosés en amoureuses naïades. Dans cette transformation, on perdait trois ou quatre siècles de l’histoire ; on y gagnait une poésie primitive, indigène, ou du moins l’ombre de tout cela. Au lieu d’une succession d’évènemens souvent impossibles, presque toujours contestables, on avait le chant de Romulus, le chant de Tarpéia, le chant de Numa, d’Ancus, de Servius, de Lucrèce, de Tarquin. Par une analogie nouvelle avec les Niebelungen, on établissait que ces poèmes latins n’avaient été achevés que plusieurs siècles après les temps auxquels ils se rapportaient par leurs sujets. De plus, chose merveilleuse ! ces chants étaient tantôt d’origine populaire, tantôt d’origine aristocratique ; il y avait, pour ainsi dire, le chœur plébéien sous Servius, le chœur patricien sous Tarquin-le-Superbe ; de sorte que la grande épopée se partageait en un dialogue dans lequel on reconnaissait la différence des voix et des conditions. La harpe de fer du Capitole exprimait les deux modes entre lesquels se divisait la cité de Romulus.

L’histoire allemande avait commencé par le chant de Siegfried dans le poème des Amales, l’espagnole par celui du Cid, la bretonne par celui d’Arthus. Pourquoi en serait-il autrement de l’histoire romaine ? Que de raisons se joignaient à celle-là ! Les contradictions des historiens, l’absence de monumens certains, l’incendie du Capitole dans lequel avaient péri tous les vestiges de la tradition écrite ; ces motifs avaient une valeur négative : on y