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parmi nous des Symmaques, on avouera au moins qu’ils se cachent bien mieux.

Cela admis, je demande sur quel fondement certain on peut comparer une société si peu préoccupée de sa fin à la société moderne, au contraire si habile à compter ses plaies, à écouter ses ruines, à sonder ses blessures, à prophétiser sa chute, et qui de plus tire de cette science même sa principale grandeur. Chez les Romains, on ne trouve point, comme il a été dit ci-dessus, de Jérémie ni d’Isaïe pour pleurer sur leur misère future. Mais il n’y a point non plus parmi eux de René, point de Childe-Harold, point de Faust pour dévoiler à mesure leurs combats intérieurs. Il n’y a pas même de don Juan à la dernière orgie du paganisme. Le monde romain et la société moderne sont, si l’on veut, et quand même cela pourrait se nier, deux établissemens près de se dissoudre. Ils se ressemblent par une même apparence de ruine. Mais, pénétrez au-delà, tout est divers. Le monde païen n’a pas la conscience de sa misère ; il est tel que cet univers physique dont parle Pascal, et qui ne sait pas qu’il meurt ; l’autre, le monde moderne, le sait si bien, qu’il est toujours sur le point de s’exagérer son mal. Et pour ce qui regarde la poésie, la philosophie, ou, pour tout dire, le principe de la morale, ces deux conditions d’une ruine qui se connaît et d’une ruine qui s’ignore sont si différentes entre elles, l’une est si pauvre, l’autre est si riche de sa propre misère, que ce point seul, une fois bien établi, suffirait à renverser toutes les analogies qu’on y pourrait opposer. À quoi bon attacher ce corps vivant à ce corps mort ? On ne serait pas plus loin du vrai en comparant aujourd’hui la plainte de la société chrétienne à la plainte des prophètes, laquelle était aussi pleur et joie, passé et avenir tout ensemble.

Depuis long-temps on nous assure qu’il se prépare dans la poésie contemporaine un retour vers l’imitation de l’antiquité. Si cette réaction tant promise conduisait à la fin à l’étude des formes grecques, nul doute qu’elle ne fût un progrès pour tous. Au contraire, si ce devait être seulement un retour à la poétique latine, il y aurait plusieurs inconvéniens à redouter d’un aussi brusque repentir. Il a été composé sur ce sujet quelques stances qui semblent ne devoir pas être séparées de cette étude sur l’épopée et la critique romaines, puisqu’elle en est, en plusieurs points, le commentaire.