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ROMANCIERS DE LA FRANCE.

traits de la réforme, ou, pour parler moins ambitieusement, de la retouche qu’elle fit du roman ; elle se montre bien du pur siècle de Louis XIV en cela.

La liaison si longue et si inviolable qu’eut Mme de La Fayette avec M. de La Rochefoucauld fait ressembler sa vie elle-même à un roman, à un roman sage (roman toutefois), plus hors de règle que la vie de Mme de Sévigné qui n’aime que sa fille, moins calculé et concerté que celle de Mme de Maintenon qui ne vise qu’au sacrement avec le roi. On aime à y voir un cœur tendre s’alliant avec une raison amère et désabusée qu’il adoucit, une passion tardive, mais fidèle, entre deux ames sérieuses où la plus sensible corrige la misanthropie de l’autre ; de la délicatesse, du sentiment, de la consolation réciproque, de la douceur, plutôt que de l’illusion et de la flamme ; Mme de Clèves, en un mot, maladive et légèrement attristée, à côté de M. de Nemours vieilli et auteur des Maximes : telle est la vie de Mme de La Fayette et le rapport exact de sa personne à son roman. Ce peu d’illusion qu’on remarque en elle, cette raison mélancolique qui fait le fonds de sa vie, a passé un peu dans l’idéal de son roman même, et aussi, ce me semble, dans tous ces autres romans en quelque sorte émanés d’elle et qui sont sa postérité, dans Eugène de Rothelin, Mademoiselle de Clermont, Édouard. Quelle que soit la tendresse qui respire en ces créations heureuses, la raison y est, l’expérience humaine y souffle par quelque coin et attiédit la passion. À côté de l’ame aimante qui déjà s’abandonne, il y a aussitôt quelque chose qui avertit et qui retient ; M. de La Rochefoucauld au fond est toujours là.

Si Mme de La Fayette réforma le roman en France, le roman chevaleresque et sentimental, et lui imprima cette nuance particulière qui concilie jusqu’à un certain point l’idéal avec l’observation, on peut dire aussi qu’elle fonda la première un exemple tout à-fait illustre de ces attachemens durables, décens, légitimes et consacrés dans leur constance[1], de tous les jours, de toutes les minutes pendant des années jusqu’à la mort ; qui tenaient aux mœurs de l’ancienne société, qui sont éteints à peu près avec elle ; mais qui ne pouvaient naître qu’après cette société établie et perfectionnée, et elle ne le fut que vers ce temps là. La Princesse de Clèves

  1. Exemplum canâ simus uterque comâ, avait dit l’élégiaque antique.