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qu’on appelle les mots à la mode et dont l’usage ne vaut rien ; je vous l’envoie. » Suit cette lettre qui est toute composée du jargon amphigourique dont elle voulait corriger le beau monde ; c’est un amant jaloux qui écrit à sa maîtresse ; Boileau en son genre n’eût pas mieux fait. Mme de La Fayette, à un degré radouci, était un peu le Despréaux de la politesse de cour. À la fin de cette même année 1670, parut Zayde, le premier ouvrage véritable de Mme de La Fayette, car la Princesse de Montpensier n’était pas un ouvrage et n’avait d’ailleurs été remarquée dans le temps que d’assez peu de personnes. Zayde portait le nom de Segrais, et ce ne fut pas une pure fiction transparente. Le public crut aisément que Segrais était l’auteur. Bussy reçut le livre comme étant de Segrais, se disposa à le lire avec grand plaisir : « car Segrais, disait-il, ne peut rien écrire qui ne soit joli ; » après l’avoir lu, il le critique et le loue toujours dans la même persuasion. Depuis lors il n’a pas manqué de personnes qui ont voulu maintenir à Segrais l’honneur de la paternité ou du moins une grande part. Adry, qui a donné une édition de la Princesse de Clèves (1807), en remettant et laissant la question dans le doute, semble incliner en faveur du poète bel-esprit.

Mais le digne Adry, qui fait autorité comme bibliographe, a l’esprit un peu esclave de la lettre. Segrais pourtant nous dit assez nettement, ce semble, dans les conversations et propos qu’on a recueillis de lui : « La Princesse de Clèves est de Mme de La Fayette… Zayde, qui a paru sous mon nom, est aussi d’elle. Il est vrai que j’y ai eu quelque part, mais seulement dans la disposition du roman où les règles de l’art sont observées avec grande exactitude. » Il est vrai de plus qu’à un autre moment Segrais dit : « Après que ma Zayde fut imprimée, Mme de La Fayette en fit relier un exemplaire avec du papier blanc entre chaque page, afin de la revoir tout de nouveau et d’y faire des corrections, particulièrement sur le langage ; mais elle ne trouva rien à y corriger, même en plusieurs années, et je ne pense pas que l’on y puisse rien changer, même encore aujourd’hui. » Il est évident que Segrais, comme tant d’éditeurs de bonne foi, se laissait dire et rougissait un peu quand on lui parlait de sa Zayde. La confusion de l’auteur à l’éditeur est chose facile et insensible. Au moyen-âge et même au xvie siècle, une phrase de latin copiée ou citée faisait autant partie de l’amour-propre de l’auteur qu’une