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assurée de ce que vous en pensez pour répondre que vous direz bien, et je pense qu’il faudrait commencer par persuader l’ambassadeur. Néanmoins il faut s’en fier à votre habileté, elle est au-dessus des maximes ordinaires ; mais enfin persuadez-le. Je hais comme la mort que les gens de son âge puissent croire que j’ai des galanteries. Il leur semble qu’on leur paraît cent ans dès qu’on est plus vieille qu’eux, et ils sont tout propres à s’étonner qu’il soit encore question des gens ; et de plus il croirait plus aisément ce qu’on lui dirait de M. de La Rochefoucauld que d’un autre. Enfin, je ne veux pas qu’il en pense rien, sinon qu’il est de mes amis, et je vous prie de n’oublier non plus de lui ôter cela de la tête, si tant est qu’il l’ait, que j’ai oublié votre message. Cela n’est pas généreux de vous faire souvenir d’un service en vous en demandant un autre.

« En marge. — Je ne veux pas oublier de vous dire que j’ai trouvé terriblement de l’esprit au comte de Saint-Paul. »

Pour ajouter à l’intérêt de cette lettre, qu’on veuille bien se rappeler la situation précise : M. de Saint-Paul, fils de Mme de Longueville et probablement aussi de M. de La Rochefoucauld, venant voir Mme de La Fayette, qui passe pour l’objet d’une dernière passion tendre, et qui voudrait le voir détrompé… ou trompé là-dessus. — Le terriblement d’esprit du jeune prince allait droit, je pense, au cœur de Mme de Longueville, à qui le post-scriptum au moins, et le reste aussi sans doute, fut bien vite montré. Ce mot charmant de la lettre, et que devraient méditer toutes les amours un peu tardives : « Je hais comme la mort que les gens de son âge puissent croire que j’ai des galanteries, » répond exactement à cette pensée de la Princesse de Clèves : « Mme de Clèves, qui était dans cet âge où l’on ne croit pas qu’une femme puisse être aimée quand elle a passé vingt-cinq ans, regardait avec un extrême étonnement l’attachement que le roi avait pour cette duchesse (de Valentinois). » Cette idée-là, comme on voit, était familière à Mme de La Fayette. Elle craignait surtout de paraître inspirer ou sentir la passion à cet âge où d’autres l’affectent. Sa raison délicate devenait une dernière pudeur.

Je tiens d’autant plus à ce que la liaison intime et déclarée de M. de La Rochefoucauld et d’elle ne commence qu’à cette époque, qu’il me semble que l’influence sur lui de cette amie affectueuse est