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ROMANCIERS DE LA FRANCE.

ô Zayde, Zayde, on sent à vos alarmes la tendresse romanesque qui n’est satisfaite qu’à demi et qu’il ne faut pas trop réveiller ! — Il y a des jours aussi où Mme de La Fayette va encore faire une petite visite à la cour, et le roi la place dans sa calèche avec les dames et lui montre les beautés de Versailles comme ferait un simple particulier ; et un tel voyage, un tel succès, si sage qu’on soit, fournit matière, au retour, à des conversations fort longues, et même à des lettres moins courtes qu’à l’ordinaire de la part de Mme de La Fayette qui aime peu à écrire ; et Mme de Grignan de loin est un peu jalouse ; elle l’est encore à propos de quelque écritoire de bois de Sainte-Lucie dont Mme de Montespan fait présent à Mme de La Fayette[1] ; mais Mme de Sévigné raccommode tout cela par les complimens et les douceurs qu’elle arrange et qu’elle échange sans cesse entre sa fille et sa meilleure amie. Même quand Mme de La Fayette n’alla plus à Versailles et n’embrassa plus en pleurant de reconnaissance les genoux du roi, même quand M. de La Rochefoucauld fut mort, elle garda son crédit, sa considération : « Jamais femme sans sortir de sa place, nous dit Mme de Sévigné, n’a fait de si bonnes affaires. » Louis XIV aima toujours en elle la favorite de Madame, un témoin de cette mort touchante et de ces belles années avec lesquelles elle restait liée dans son souvenir, n’ayant plus guère reparu à la cour depuis.

Mais Versailles, et la Poétique de Despréaux, et l’opéra de Lulli, et les gaietés sur la Marans, sont toujours vite interrompus par cette misérable santé qui, avec sa fièvre tierce, ne permet pas qu’on l’oublie, et devient peu à peu l’occupation principale. Dans son beau et vaste jardin de la rue de Vaugirard, si verdoyant, si embaumé, dans la maison de Gourville à Saint-Maur, où elle s’habitue en amie franche, à Fleuri-sous-Meudon, où elle va respirer l’air des bois, on la suit malade, mélancolique ; on voit cette figure longue et sérieuse s’amaigrir et se dévorer. Sa vie, durant vingt ans, se convertit en une petite fièvre plus ou moins lente, et les bulletins reviennent toujours à ceci : « Mme de La Fayette s’en va demain

  1. Il ressort des lettres de Mme de Sévigné que Mme de Grignan devait assez souvent lui répéter : « Voyez, voyez ! votre Mme de La Fayette vous aime-t-elle donc si extraordinairement ? Elle ne vous écrirait pas deux lignes en dix ans, elle sait faire ce qui raccommode, elle garde ses aises et son repos, et, du milieu de cette indolence, surveille très bien de l’œil son crédit. »