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ROMANCIERS DE LA FRANCE.

mariage ne soit le tombeau de l’amour du prince, et n’ouvre la porte aux jalousies : cette crainte, en effet, autant que le scrupule du devoir, s’oppose dans l’esprit de Mme de Clèves au mariage avec l’amant. En achevant leur roman idéal, il est clair que les deux amis, que M. de La Rochefoucauld et elle, en venaient à douter de ce qu’il y aurait eu de félicité imaginable pour leurs chers personnages, et qu’ils se reprenaient encore à leur douce liaison réelle comme au bien le plus consolant et le plus sûr.

Ils n’en jouirent plus long-temps. Dans la nuit du 16 au 17 mars 1680, deux ans jour pour jour après la publication de la Princesse de Clèves, M. de La Rochefoucauld mourut : « J’ai la tête si pleine de ce malheur et de l’extrême affliction de notre pauvre amie, écrit Mme de Sévigné, qu’il faut que je vous en parle… M. de Marsillac est dans une affliction qui ne peut se représenter ; cependant, ma fille, il retrouvera le roi et la cour ; toute sa famille se retrouvera à sa place ; mais où Mme de La Fayette retrouvera-t-elle un tel ami, une telle société, une pareille douceur, un agrément, une confiance, une considération pour elle et pour son fils ? Elle est infirme, elle est toujours dans sa chambre, elle ne court point les rues. M. de La Rochefoucauld était sédentaire aussi : cet état les rendait nécessaires l’un à l’autre, et rien ne pouvait être comparé à la confiance et aux charmes de leur amitié. Songez-y, ma fille, vous trouverez qu’il est impossible de faire une perte plus considérable et dont le temps puisse moins consoler. Je n’ai pas quitté cette pauvre amie tous ces jours-ci ; elle n’allait point faire la presse parmi cette famille, en sorte qu’elle avait besoin qu’on eût pitié d’elle. Mme de Coulanges a très bien fait aussi, et nous continuerons quelque temps encore… » Et dans chacune des lettres suivantes : « La pauvre Mme de La Fayette ne sait plus que faire d’elle-même… Tout se consolera hormis elle. » C’est ce que Mme de Sévigné répète en cent façons plus expressives les unes que les autres : « Cette pauvre femme ne peut serrer la file d’une manière à remplir cette place. » Mme de La Fayette ne chercha pas à la remplir ; elle savait que rien ne répare de telles ruines. Même cette amitié si tendre avec Mme de Sévigné ne suffisait pas, elle le sentait bien : il y avait trop de partage. Pour se convaincre de l’insuffisance de telles amitiés, même des meilleures et des plus chères, qu’on lise la lettre de Mme de La Fayette à Mme de Sévigné