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ROMANCIERS DE LA FRANCE.

ses petites-filles et le roi, fit faire une comédie par Racine, le meilleur poète du temps que l’on a tiré de sa poésie où il est inimitable, pour en faire à son malheur et celui de ceux qui ont le goût du théâtre, un historien très imitable. » Mme de La Fayette avait été d’un monde qui préféra long-temps Corneille à Racine ; elle avait aimé et pratiqué dans Zayde ce genre espagnol, si cher à l’auteur du Cid, et que Racine et Boileau avaient tué. Elle comptait pour amis particuliers des hommes comme Segrais, Huet, qui avaient des antipathies et même des haines[1] contre ces deux poètes régnans. M. de La Rochefoucauld, qui les goûtait l’un et l’autre comme écrivains, ne leur trouvait qu’une seule sorte d’esprit, et les jugeait pauvres d’entretien hors de leurs vers. Valincourt enfin, qui avait attaqué la Princesse de Clèves, était l’élève, l’ami intime de tous deux. Après cela, Mme de La Fayette avait trop d’esprit et d’équité pour ne pas admirer dignement des auteurs dont la tendresse ou la justesse trouvait en elle des cordes si préparées. Au moment où elle révère le moins Racine, elle l’appelle encore le meilleur poète et inimitable. On a vu qu’elle écoutait chez Gourville, c’est-à-dire chez elle, la Poétique de Boileau. Elle avait, nous l’avons dit, avec Boileau plus d’un rapport de droiture d’esprit et de critique irréfragable, et était à sa manière un oracle de bon sens dans son beau monde. Les mots à la Despréaux qu’on a retenus d’elle sont nombreux : nous en avons cité beaucoup, auxquels il faut en ajouter encore ; par exemple : « Celui qui se met au-dessus des autres, quelque esprit qu’il ait, se met au-dessous de son esprit. » Boileau, causant un jour avec d’Olivet, disait : « Savez-vous pourquoi les anciens ont si peu d’admirateurs ? c’est parce que les trois quarts tout au moins de ceux qui les ont traduits, étaient des ignorans ou des sots. Mme de La Fayette, la femme de France qui avait le plus d’esprit et qui écrivait le mieux, comparait un sot traducteur à un laquais que sa maîtresse envoie faire un compliment à quelqu’un. Ce que sa maîtresse lui aura dit en termes polis, il va le rendre grossièrement, il l’estropie ; plus il y avait de délicatesse dans le compliment, moins ce laquais s’en tire bien : et voilà en un mot la plus parfaite image d’un mauvais traducteur. » Boileau paraît donc certifier, en quelque sorte, lui-

  1. Voir Huet sur Boileau dans ses Mémoires latins.