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REVUE LITTÉRAIRE.

il trouve à vivre, c’est compléter l’histoire d’une grande partie de l’espèce humaine.

La classe des nécessiteux est condamnée, par défaut d’éducation, à une sorte d’enfance morale. Ce n’est pas la raison qui tempère en eux les mauvais instincts, mais la crainte d’une expiation cruelle, la perspective du dénuement absolu et des mille tortures qui le suivent. Affranchir le pauvre des suites de ses propres fautes, c’est offrir une prime à la lâcheté, au dévergondage ; c’est ruiner le principe de l’émulation, de la prévoyance, de la dignité personnelle, des sentimens de famille, de toutes les vertus à l’aide desquelles on peut vaincre la misère. Celui qui vit d’aumônes répudie peu à peu l’idée de sa dégradation, et au lieu de faire effort pour se relever, il exagère l’aspect hideux de son infortune, afin de se créer des droits à des secours plus abondans. Ajoutons que pour maintenir une caste toujours croissante qui se met bénévolement en dehors de la loi commune, il faut établir des réglemens de police contraires aux droits naturels que la société doit conserver, même à ses membres indignes. Ainsi, dans presque tous les pays de l’Europe, les pauvres sont attachés comme un troupeau au sol de la paroisse qui a charge de les nourrir. On les accable de vexations et d’ignominie, pour effrayer ceux qui seraient tentés de réclamer l’assistance légale. En plusieurs localités, les obstacles mis à l’union légitime des pauvres provoquent une brutalité révoltante, et enlèvent à une foule d’enfans sans famille ces tendresses d’instinct que la charité publique ne saurait remplacer. En un mot, les lois établies jusqu’ici pour adoucir les privations matérielles, ont presque toujours créé des plaies morales, bien plus affreuses assurément.

Les économistes français, qui ont entrevu ces tristes résultats, ont cru les éviter en exigeant des pauvres, en compensation des secours qu’ils demandent, une somme de travail dans un établissement industriel ou agricole ; mais ce projet ne fait qu’aggraver l’inconvénient de l’aumône directe : il détruit, chez celui qui s’y soumet, la liberté sans laquelle aucune amélioration morale n’est possible. Appliquer la classe indigente à un travail nécessairement improductif, qui paralyse ses facultés naturelles, n’est-ce pas lui enlever les chances d’affranchissement toujours offertes au courage et à l’intelligence, et perpétuer ainsi son infériorité ? Le contrat qui, dans les temps anciens, liait le maître à l’esclave, était-il différent de celui qu’on propose ? D’ailleurs, l’expérience a prononcé. Les établissemens où l’on a comprimé tant d’esprits vagabonds, indisciplinables, sont presque toujours devenus des foyers de corruption. Il y a à craindre encore que la concurrence élevée entre les ateliers de charité et les industries libres n’aboutisse qu’à déplacer la misère.

Les considérations dont nous offrons ici le résumé, sont appuyées, dans