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REVUE DES DEUX MONDES.

comme on dit au collége, pour la matière d’un morceau romantique, et nous croyons avoir trouvé ainsi la véritable et unique différence du romantique et du classique. Voici notre travail :

LETTRE D’UNE JEUNE FILLE ABANDONNÉE PAR SON AMANT.
(Style romantique.)

« Considère, mon amour adoré, mon ange, mon bien, mon cœur, ma vie ; toi que j’idolâtre de toutes les puissances de mon ame ; toi, ma joie et mon désespoir ; toi, mon rire et mes larmes ; toi, ma vie et ma mort ! — Jusqu’à quel excès effroyable tu as outragé et méconnu les nobles sentimens dont ton cœur est plein, et oublié la sauvegarde de l’homme, la seule force de la faiblesse, la seule armure, la seule cuirasse, la seule visière baissée dans le combat de la vie, la seule aile d’ange qui palpite sur nous, la seule vertu qui marche sur les flots, comme le divin rédempteur, la prévoyance, sœur de l’adversité !

« Tu as été trahi et tu as trahi ; tu as été trompé et tu as trompé ; tu as reçu la blessure et tu l’as rendue ; tu as saigné et tu as frappé ; la verte espérance s’est enfuie loin de nous. Une passion si pleine de projets, si pleine de sève et de puissance, si pleine de crainte et de douces larmes, si riche, si belle, si jeune encore, et qui suffisait à toute une vie, à toute une vie d’angoisses et de délires, de joies et de terreurs, et de suprême oubli ; — cette passion, consacrée par le bonheur, jurée devant Dieu comme un serment jaloux ; — cette passion qui nous a attachés l’un à l’autre comme une chaîne de fer à jamais fermée, comme le serpent unit sa proie au tronc flexible du bambou pliant ; — cette passion qui fut notre ame elle-même, le sang de nos veines et le battement de notre cœur ; — cette passion, tu l’as oubliée, anéantie, perdue à jamais ; ce qui fut ta joie et ton délice n’est plus pour toi qu’un mortel désespoir qu’on ne peut comparer qu’à l’absence qui le cause. — Quoi, cette absence !… etc., etc. »

TEXTE VÉRITABLE DE LA LETTRE,
LA PREMIÈRE DES LETTRES PORTUGAISES.
(Style ordinaire.)

« Considère, mon amour, jusqu’à quel excès tu as manqué de prévoyance ! Ah, malheureux tu as été trahi, et tu m’as trahie