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LETTRES SUR L’ISLANDE.

travers cette brume, cette plaine, ces montagnes, le soleil voilé par les nuages projetait de loin en loin une lueur vague, une teinte blafarde. Et tout était morne, silencieux comme le désert, profond comme l’abîme. Pas un cri ne se faisait entendre ; pas un être vivant, pas une plante ne se montrait à nos yeux. On eût dit la nature morte, entourée par la nuit, plongée dans le chaos.

Tout à coup le rideau de nuages se déchire, l’azur du ciel reparaît, les rayons du soleil éclatent dans l’espace. Le long de la vallée, le vent balaie le brouillard, qui s’entr’ouvre, s’éclaircit, et s’en va par lambeaux, léger et transparent comme un voile de gaze. D’un côté, nous voyons reparaître toutes les montagnes qui environnent l’Hécla, avec leur crête rouge et leurs bords cendrés ; de l’autre, les Snœfial, qui portent dans les nues leurs épaules de neige et leurs pics de glace, brillans comme des pointes de lance aux rayons du soleil. À nos pieds, la plaine se déroule au loin avec les lacs d’eau limpide, qui parsèment sa robe verte comme des diamans, et les deux rivières qui la traversent comme des guirlandes. La montagne bleue, voisine du Geyser, s’élève au milieu de la vallée ; et devant nous, à l’horizon, nous apercevons comme une ceinture d’or la pleine mer, étincelante de lumière, et les îles Westmann.

Nous restâmes saisis d’un sentiment inexprimable d’admiration en face d’un spectacle si inattendu. C’était le jour de printemps de cette nature désolée ; c’était le fiat lux de cette nuit de chaos. Alors nous oubliâmes en un instant et la fatigue de notre excursion et le froid et la neige. Nous saluâmes d’un cri de joie enthousiaste ces solitudes lointaines, et notre vieux guide lui-même partageait nos transports. C’était la seconde fois de sa vie qu’il montait jusqu’au haut de l’Hécla, et pour la première fois avec des Français.

Ce jour-là, c’était la fête de M. Gaimard. Nous la célébrâmes gaiement avec le vin de Champagne que nous avions apporté, et nous nous en revînmes en récoltant sur notre route des échantillons de lave et de basalte. Nous avions quitté notre tente à neuf heures du matin ; nous y rentrâmes à minuit, riches de nos souvenirs, heureux de notre journée.


X. Marmier.
Reykiavik, 22 juillet 1836.