Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/719

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
715
JEAN-SÉBASTIEN.

reau soutient dans l’air ses petits dont les plumes commencent à pousser.

Après cette pieuse introduction, ils se mettaient à table et soupaient joyeusement. À la fin du repas, la musique revenait ; seulement les hymnes faisaient place aux chansons nationales, car ces hommes étaient d’abord chrétiens, puis Allemands : après Dieu, la patrie. Ces chœurs mettaient en émoi toute la ville ; les passans s’arrêtaient en groupe autour de la maison. L’aubergiste officieux introduisait avec un air de protection ceux qui dépensaient le plus assidument leurs revenus chez lui, et laissait les autres se morfondre à la porte. On a dit que les Bach avaient improvisé, dans ces réunions, plusieurs airs qui depuis sont devenus populaires. Je pense qu’il faut croire plutôt qu’ils les ont tout simplement variés, attendu qu’on en peut voir en grande partie les idées primitives dans un recueil imprimé à Vienne, en 1542.

Cependant tous ces braves et joyeux Thuringiens seraient aujourd’hui dans l’obscurité, s’il n’était sorti de leur sein un homme dont la gloire fut telle, qu’il en a rejailli sur leur tombe une douce lumière ; et cet homme, c’est Jean-Sébastien, le joyau de sa famille, l’organiste de sa patrie, l’enfant le plus chéri de la Musique.


Jean-Sébastien est né à Eisenach, le 21 mars de l’année 1685. Son père, Jean-Ambroise, maître de musique de la cour, avait un frère jumeau, nommé Chrysostôme, qui exerçait à Arnstadt la même profession, et tous deux se ressemblaient tellement, que leurs femmes ne savaient les distinguer l’un de l’autre que par le vêtement. Ils avaient la même voix, le même geste, et s’aimaient bien, car leurs sensations comme les lignes de leur visage étaient toutes pareilles. La ressemblance de ces deux êtres devenait plus parfaite et plus harmonieuse encore dans les phénomènes spirituels. Dans leurs croyances, dans leurs pensées, dans leur style, partout la même unité ; c’étaient deux vases faits du même métal ; aussi rien d’étonnant, lorsque le monde extérieur les frappait, qu’ils rendissent le même son. Si l’un était malade, l’autre ne tardait pas à se mettre au lit ; ils moururent presque en même temps, et furent un sujet de curieuses observations pour les savans qui les approchèrent.

Jean-Sébastien avait à peine dix ans lorsque mourut son père ; il avait aussi perdu sa mère depuis peu. Le pauvre enfant pleura bien