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JEAN-SÉBASTIEN.

veillance. À neuf heures le jeune écolier se couchait, son maître venait le visiter, pour s’assurer que toute chose était bien à sa place, et s’éloignait, en ayant soin d’emporter la lampe. N’importe, Jean-Sébastien eut bientôt trouvé moyen de travailler la nuit : il avait toujours le précieux volume sous son oreiller ; et lorsque venait une belle soirée d’été, il se levait, ouvrait sa fenêtre, et se mettait à chanter aux sereines fraîcheurs de l’air, à la tremblante et douce lumière des étoiles. Cela dura pendant six mois ; le pauvre enfant ne dormait pas ; autant de belles nuits, autant de veilles laborieuses ; lorsque pendant ses heures d’études ses petits yeux voulaient se fermer, il les mouillait pour les tenir ouverts ; et si par hasard la douleur devenait plus cuisante, il en cherchait la cause et finissait par se dire : « C’est vrai, voilà trois nuits que je veille ; je dormirai demain, s’il pleut. » Le lendemain il ne pleuvait pas : le firmament resplendissait d’étoiles, et la lune descendait du ciel pour le visiter dans sa chambre. Cependant tant de travail épuisait cette nature frêle, et, faute de sommeil, le bel enfant se flétrissait. Ses yeux devenaient faibles, ses joues creuses, et tous, dans la maison, le croyaient pris de quelque mal de langueur. Christophe en fut d’abord inquiet ; mais ne l’entendant se plaindre d’aucune souffrance, ne le voyant ni triste ni mélancolique, il commença bientôt à comprendre qu’il y avait là-dessous quelque passion en jeu, et que la pâleur de son visage était moins celle d’un malade que celle d’un alchimiste occupé aux mystères de son art. Seulement il fut six mois à découvrir ce qu’une mère aurait découvert en huit jours.

Un soir, après la visite de Christophe, Sébastien entr’ouvrit ses rideaux, et, voyant sa lampe de travail suspendue au zénith, se leva et vint à la croisée. Il déploya sur les barreaux son cahier mystérieux, et voulut se mettre à chanter selon son habitude. Il en était à la dernière leçon, la plus longue et la plus difficile de toutes, et ces notes, qui la veille s’animaient à son premier regard et devenaient sonores comme la statue magique aux rayons du soleil, se serraient en bataillons épais comme pour empêcher le jeune artiste de pénétrer jusqu’au fond de l’idée qu’elles enveloppaient. Sébastien était là depuis une heure, lisant les notes une à une, parcourant du doigt les lignes et les pages, et toujours arrivant à la fin du morceau sans avoir pu en saisir l’unité. Il faut dire que du commencement à la fin le morceau était d’une si âpre difficulté,