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qu’il n’y avait pas dans toute l’Allemagne un maître de chapelle en état de le déchiffrer à première vue. Le pauvre enfant s’obstinait ; et telle était sa douleur de ne pas réussir, que les notes se changeaient pour lui en épines qui déchiraient sa main toutes les fois qu’elle retombait sur le papier en battant la mesure. Enfin, après deux heures de travail et de persévérance, la nuit devint plus sereine, les étoiles brillèrent d’une clarté plus vive, et la lune, en s’inclinant à l’horizon, inonda de lumière l’hiéroglyphique papier. Sébastien profite de ce moment, redouble de travail, et trouve dans le coin d’une page trois mesures qu’il n’avait point encore aperçues, et qui, du premier coup, lui expliquent une transition dont il cherchait en vain à se rendre compte. Dès-lors la pensée intime de ce morceau lui est révélée ; il le possède, il le domine, il en est maître ; et de peur qu’un nuage ne vienne éteindre la lampe qui l’éclaire, il le répète à haute voix, afin de l’apprendre par cœur. Tel est son enthousiasme qu’il oublie et son frère, et les voisins qui dorment, et les chiens qui vont hurler s’il les éveille, et se met à lancer de toutes les forces de sa poitrine sa voix de fausset claire et limpide, qui fend les airs et monte avec des sons aigus et métalliques. Il était encore dans tout le délire d’un enfant de chœur, lorsqu’il se sentit étreindre par une main osseuse. Il se détourne avec effroi, et aperçoit un grand fantôme blanc qui le regarde avec gravité, ramasse le cahier tombé à terre, et s’éloigne sans mot dire. — Jean-Sébastien ne retrouva son livre, le trésor de ses nuits d’été, qu’après la mort de son frère, Jean-Christophe, organiste à Ordruff.

Dès-lors, n’ayant plus de famille, Sébastien, en compagnie d’un de ses condisciples, Erdman, qui fut depuis résident impérial à Dantzig, s’en vint à Lünebourg et se fit recevoir comme premier dessus dans les chœurs de l’école de Saint-Michel. Sa belle voix lui procura de grands succès dans cette ville, mais il la perdit à l’âge de la mue. Cet accident ne fit qu’accroître l’ardente passion qu’il avait pour l’orgue. Ce fut alors qu’il se rendit pour la première fois à Hambourg, afin d’y assister aux improvisations du célèbre organiste Jean-Adam Reinken, et qu’il entreprit le voyage de Celle, afin d’étudier le style de notre musique, la chapelle de cette ville étant composée en grande partie de musiciens français.

Nous ignorons quelles furent les circonstances qui l’amenèrent de