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JEAN-SÉBASTIEN.

mal. Insensiblement le peuple d’Arnstadt, tout en se consolant, prit en pitié les chantres et les enfans de chœur ; il se mit à faire effort de voix pour les aider dans leur travail, et bientôt la musique fut assez retentissante pour remplir dignement l’église. Mais ce n’était pas sans une grave inquiétude que les habitans voyaient Pâques approcher, car Pâques est la fête des orgues, et ce jour-là, de toutes les campagnes environnantes, on arrivait pour les entendre chanter. Ce jour-là, dès le matin, l’église était remplie de femmes et d’enfans, de laboureurs et d’ouvriers, qui venaient célébrer la résurrection du Seigneur. Les populations voisines se donnaient rendez-vous sur la grande place d’Arnstadt, et pendant toute la semaine sainte, les routes étaient couvertes de caravanes et de processions, d’hommes à cheval et d’hommes à pied, de pélerins qui se hâtaient, afin d’arriver assez tôt pour trouver sous le dôme une dalle où s’agenouiller, et de mendians qui faisaient effort de jambes et de béquilles, pour gagner une heure et pouvoir ainsi choisir leurs places sous le portail.

Certes, il avait fallu bien de la persévérance et surtout du talent pour attirer ainsi la foule des pélerins. La vie d’un homme n’avait pas suffi à ce résultat, et le vieux Johann Böhm, après s’être épuisé durant cinquante ans à cette rude tâche, avait en mourant élu son successeur et laissé le royaume des orgues à Jean-Sébastien. Celuici avait dignement soutenu la gloire du maître qui l’avait précédé ; bientôt la nouvelle église d’Arnstadt était devenue célèbre, et nul orgue n’osait élever la voix quand celui de Sébastien annonçait au bruit des cloches qu’il allait parler. Aussi le concours des fidèles augmentait chaque année, et il paraissait impossible que le dôme pût tous les abriter sous sa voûte aux fêtes prochaines. Quant à cela, personne n’avait songé à s’en inquiéter, et maître Wilhelm Floh, le plus joyeux des aubergistes de l’endroit, avait dit à ce sujet : « Les dévots en seront quittes pour faire leur prière sous le portail avec les pauvres, les curieux pour revenir une autre fois, et d’ailleurs s’ils ne trouvent pas de places dans l’église, ils en viendront chercher dans les auberges, et cela profitera toujours à la ville. »

Plût à Dieu que les bourgeois d’Arnstadt n’eussent pas eu d’autre souci ! Mais, hélas ! les dimanches se succédaient rapidement et l’orgue restait muet. Dès le premier moment, on avait écrit à tous les organistes de l’Allemagne, et chaque jour on recevait une